Barberine
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ACTE III - Scène VII

Alfred de Musset

ACTE III - Scène VII


(BARBERINE , ROSEMBERG .)

BARBERINE
Eh bien ! seigneur, à quoi songez-vous ?

ROSEMBERG
J'attendais de savoir si je dois me retirer.

BARBERINE
N'étiez-vous pas en train de me faire une confidence ? Cette petite fille est venue mal à propos.

ROSEMBERG
Oh ! oui.

BARBERINE
Eh bien ! continuez.

ROSEMBERG
Je n'en ai plus le courage, madame. Je ne sais comment j'avais pu oser…

BARBERINE
Et vous n'osez plus ? Vous me disiez, je crois, que vous aviez de l'amour pour une femme qui est mariée à l'un de vos amis ?

ROSEMBERG
Un de mes amis ! je n'ai pas dit cela.

BARBERINE
Je croyais l'avoir entendu. Mais êtes-vous sûr que j'aie mal compris ?

ROSEMBERG(à part.)
Que veut-elle dire ? Ce regard si terrible me semble à présent singulièrement doux.

BARBERINE
Eh bien ! vous ne répondez pas ?

ROSEMBERG
Ah ! madame… Si vous avez pénétré ma pensée…

BARBERINE
Est-ce une raison pour ne pas la dire ?

ROSEMBERG
Non, je le vois ! vous m'avez deviné. Ces beaux yeux ont lu dans mon cœur, qui se trahissait malgré moi. Je ne saurais vous cacher plus longtemps un sentiment plus fort que ma raison, plus puissant même que mon respect pour vous. Apprenez donc à la fois, comtesse, et ma souffrance et ma folie. Depuis le premier jour où je vous ai vue, j'erre autour de ce château, dans ces montagnes désertes !… L'armée, la cour ne sont plus rien pour moi ; j'ai tout quitté dès que j'ai pu trouver un prétexte pour approcher de vous, ne fût-ce qu'un instant. Je vous aime, je vous adore ! voilà mon secret, madame ; avais-je tort de vous supplier de ne pas m'en punir ?
(Il met un genou en terre.)

BARBERINE(à part.)
Il ne ment pas mal pour son âge.(Haut.)
Vous aviez, dites-vous, la crainte d'être puni ; — n'aviez-vous pas celle de m'offenser ?

ROSEMBERG(se levant.)
En quoi l'amour peut-il être une offense ? Qui est-ce offenser que d'aimer ?

BARBERINE
Dieu, qui le défend !

ROSEMBERG
Non, Barberine ! Puisque Dieu a fait la beauté, comment peut-il défendre qu'on l'aime ? C'est son image la plus parfaite.

BARBERINE
Mais si la beauté est l'image de Dieu, la sainte foi jurée à ses autels n'est-elle pas un bien plus précieux ? S'est-il contenté de créer, et n'a-t-il pas, sur son œuvre céleste, étendu la main comme un père, pour défendre et pour protéger ?

ROSEMBERG
Non, quand je suis ainsi près de vous, quand ma main tremble en touchant la vôtre, quand vos yeux s'abaissent sur moi avec ce regard qui me transporte, non ! Barberine, c'est impossible ; non, Dieu ne défend pas d'aimer. Hélas ! point de reproches, je ne…

BARBERINE
Que vous me trouviez belle, et que vous me le disiez, cela ne me fâche pas beaucoup. Mais à quoi bon en dire davantage ? Le comte Ulric est votre ami.

ROSEMBERG
Qu'en sais-je ? Que puis-je vous répondre ? De quoi puis-je me souvenir près de vous ?

BARBERINE
Quoi ! si je consentais à vous écouter, ni l'amitié, ni la crainte de Dieu, ni la confiance d'un gentilhomme qui vous envoie auprès de moi, rien n'est capable de vous faire hésiter ?

ROSEMBERG
Non, sur mon âme, rien au monde. Vous êtes si belle, Barberine ! vos yeux sont si doux, votre sourire est le bonheur lui-même !

BARBERINE
Je vous l'ai dit, tout cela ne me fâche pas. Mais pourquoi prendre ainsi ma main ? Ô Dieu ! il me semble que si j'étais homme, je mourrais plutôt que de parler d'amour à la femme de mon ami.

ROSEMBERG
Et moi, je mourrais plutôt que de cesser de vous parler d'amour.

BARBERINE
Vraiment ! sur votre honneur, cela est votre sentiment ?
(Elle fait un signe par la fenêtre.)

ROSEMBERG
Sur mon âme, sur mon honneur !

BARBERINE
Vous trahiriez de bon cœur un ami ?

ROSEMBERG
Oui, pour vous plaire, pour un regard de vous.
(On entend sonner une cloche.)

BARBERINE
Voici la cloche qui m'avertit de descendre.

ROSEMBERG
Ô ciel ! vous me quittez ainsi ?

BARBERINE
Que vous dirai-je ? voici Kalékairi.


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