Armand ; puis Thérèse
Armand (seul.)
Où vas-tu ?… Ah ! fais ce que tu voudras… demain, je serai parti. (Apercevant Thérèse qui entre.)
Thérèse !… Oh ! mon cœur !… non ! je ne veux pas la voir.
(Il se dirige vers la porte du fond.)
Thérèse
Eh bien, mon cousin, on se sauve quand j'arrive ?
Armand
Pardon… je ne vous voyais pas…
Thérèse
Voilà plus d'une heure que je te cherche des yeux par tout le bal.
Armand (se rapprochant d'elle.)
Vraiment ! vous pensiez à moi ?
Thérèse
Je crois bien !… Ton tour est arrivé…
Armand
Quel tour ?
Thérèse
Je t'ai inscrit pour la huitième contredanse…
Armand
Ah ! c'est pour cela ?… je vous demande pardon… mais ce soir… je ne suis pas disposé…
Thérèse
Comment ! vous ne voulez pas danser ?
Armand
Excusez-moi…
Thérèse
Il fallait donc me le dire !… moi qui ai refusé trois invitations… Vous allez voir que je vais manquer la contredanse… Je retourne à ma place.
(Fausse sortie.)
Armand (la retenant.)
Restez… je vous prie… Puisque vous avez bien voulu m'accorder une contredanse… occupons-la… à causer… voulez-vous ?
Thérèse
Ce n'est pas la même chose !
Armand (lui faisant signe de s'asseoir,)
Thérèse…
Thérèse (à part.)
Il est ennuyeux.
Armand
Je vous ai à peine vue depuis mon retour… n'avez-vous rien à me dire ?
Thérèse
Mais on ne vient pas au bal pour causer… il me semble que nous avons assez bavardé ce matin… et je ne vois pas… Ah si, une rencontre… tu sais bien, Lucie…
Armand
Lucie ?… non !
Thérèse
Mais si… tu la voyais au parloir… Elle est mariée.
Armand
Ah !
Thérèse
Elle est allée l'année dernière aux eaux d'Aix avec dix-sept robes ; est-elle heureuse !
Armand
Oh ! oui ! de façon qu'une personne qui y serait allée avec dix-huit robes serait encore plus heureuse ?
Thérèse
Ce n'est pas cela que je veux dire. (On entend la musique à côté.)
Entends-tu l'orchestre… on commence…
Armand
Allez, je me reprocherais de vous retenir plus longtemps.
Thérèse
Oh ! il est trop tard maintenant… tout le monde est placé… Voyons, qu'avais-tu à me communiquer ?
Armand
Oh ! rien de bien intéressant… je voulais vous parler de nos souvenirs… de notre amitié d'enfance. Nous étions séparés… mais quel bonheur quand nous pouvions nous réunir… quand mon oncle m'emmenait avec lui au parloir de votre pension… le cœur me battait !
Thérèse
Oh ! à moi aussi !
Armand
Vrai ?
Thérèse
Tu m'apportais toujours un sac de marrons glacés !
Armand
Ah !
Thérèse
Tu étais bien aimable de penser ainsi à moi…
Armand
C'étaient mes pauvres petites économies d'un mois.
Thérèse
Je les aimais surtout à la vanille.
Armand
Malheureusement ! Ceux-là coûtaient deux francs de plus que les autres.
Thérèse
Pauvre Armand ! étais-tu bon !… (Riant.)
Mais étais-tu drôle avec ton habit de collégien… trop court.
Armand
Hein ?
Thérèse : Ah ! tu nous faisais bien rire avec ces demoiselles ! Les grandes dessinaient ta caricature… Moi, je trouvais ça mal !
Armand
Thérèse ! est-ce bien vous, vous si grave, si bienveillante… qui marchiez toujours les yeux baissés ?
Thérèse
Ca… c'est notre professeur de maintien qui me l'avait recommandé.
Armand
Comment ! ces regards longs et tristes ?…
Thérèse
Ah ! j'ai eu bien de la peine à me les mettre dans la tête ! mais le professeur me disait toujours ; "Mademoiselle Thérèse, vous riez trop ! ce n'est pas convenable… pensez à quelque chose de triste ! "
Armand
Et à quoi pensiez-vous ?
Thérèse
Je pensais que Boboche, notre petit chat de la pension, allait mourir !… Qu'as-tu donc ?…
Armand
Rien. (À part.)
Boboche !… (Haut.)
Continuez… j'ai besoin de forces… j'ai besoin de vous entendre !… Ainsi, je vous paraissais bien ridicule ?
Thérèse
Oh ! je n'ai pas dit cela !
Armand
Avec mes habits trop courts…
Thérèse (riant.)
Et tes gros souliers… toujours dénoués.
Armand
Et vous n'avez jamais remarqué autre chose ?
Thérèse
Non !… Quoi donc ?…
Armand
Oh ! rien… (À part.)
Oh ! les rêves ! les rêves !…
Thérèse
Armand !… tu souffres ?…
Armand
Ne faites pas attention… c'est la fièvre qui s'en va… elle part… elle est partie ! Ah ! je me sens mieux !
Thérèse
Veux-tu que j'appelle mon oncle ?
Armand
C'est inutile… (Lui prenant la main.)
Vois, ma main serre la tienne et ne tremble pas… mon regard est ferme… Thérèse, je puis te faire danser maintenant… je ne crains plus rien…
Thérèse
Ah ! désolée ! mais ton tour est passé ! Je suis engagée pour la neuvième…
Armand
C'est juste !
Thérèse
Cela t'apprendra à perdre ton temps…
Armand
Oh ! je ne le regrette pas ! (Lui tendant la main.)
Adieu !
Thérèse
Au revoir !
Armand (l'examinant.)
Ah ! est-ce singulier ! j'avais toujours cru que tu avais les yeux bleus !
Thérèse
Eh bien ?
Armand
Ils sont gris !
Thérèse (retirant sa main.)
Hein ? Il faut avouer, monsieur, que vous n'êtes guère aimable au bal… Je ne t'en veux pas !
(Elle sort.)
Armand
Va vite, tu vas encore manquer la contredanse !
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...