Moi
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ACTE II - Scène première

Eugène Labiche

ACTE II - Scène première


Fromental Georges, Madame de Verrières
Ils sont en tenue de bal.

Madame de Verrières (devant une glace.)
Je suis prête… je puis recevoir nos invités.

Fromental
Moi aussi….

Madame de Verrières (à Georges, qui est assis près d'une table.)
Georges comment trouves-tu ma toilette ?

Georges (sans la regarder.)
Charmante !

Madame de Verrières
J'ai voulu être très jolie pour présenter ma petite belle-sœur à nos amis… Tu es triste… qu'as-tu donc ?…

Fromental
C'est vrai… Depuis deux jours, depuis que nous avons fait la demande, tu n'ouvres pas la bouche.

Georges
Je n'ai rien… Comprenez-vous que je n'aie pas revu Armand… je suis bien allé dix fois chez lui, et lui ne m'a pas fait une seule visite.

Fromental
Et c'est pour cela que tu te désoles ?… Je le comprendrais encore s'il s'agissait d'un condisciple… d'un camarade de collège… d'un…

Georges
Armand est mieux que cela pour moi… c'est un ami.

Madame de Verrières
En es-tu sûr ?

Georges
Oh ! oui ! je puis compter sur lui… comme sur toi ! Et à ce propos, mon père, J'aurai une demande… une prière à vous adresser… dans un autre moment.

Fromental
Pourquoi pas dans celui-ci ? nous n'avons encore personne ?… Parle, je t'écoute.

Georges
Armand est sans fortune… il n'a pas de position… et je voudrais lui en faire une… Je le dois… Verriez-vous de grands empêchements à l'intéresser dans nos opérations ?…

Madame de Verrières
Comment ?

Fromental
Ah çà ! tu es fou ! Tu me dis qu'il n'a pas de capitaux !…

Georges
Eh bien ?

Fromental
Eh bien, voyons, sommes-nous des banquiers, oui ou non ?

Georges
Mais, mon père…

Fromental
Après tout, qu'est-ce que c'est que ce M. Armand dont tu es engoué ?… une connaissance de voyage ! Et s'il fallait associer toutes ses connaissances de voyage !

Georges
Soit ! mon père, vous êtes le maître de ce qui vous appartient ; mais vous ne trouverez pas mauvais que je lui abandonne un intérêt sur ma part.

Madame de Verrières (à part.)
C'est extraordinaire…

Fromental
C'est de la démence, c'est du délire… Mais quel si grand service t'a donc rendu M. Armand ?…

Georges
Tenez, mon père, il y a une chose que je vous ai cachée… que je ne voulais pas vous dire pour ne pas augmenter votre profonde horreur pour les voyages… Pendant ma traversée, j'ai été atteint de la fièvre… d'une mauvaise fièvre…

Madame de Verrières
Ah ! mon Dieu !

Fromental
Est-il possible ?

Georges
Le capitaine réunit ses officiers… et il fut décidé, séance tenante, qu'on me débarquerait sur la première côte qu'on pourrait aborder.

Madame de Verrières
Un malade !

Fromental
Comment ! et tu n'as pas protesté ! Tu ne leur as pas dit ; "Je suis le fils de la maison Fromental de Paris ! On vous payera, lâches que vous êtes ! "

Georges
Je crois que cela ne les eût pas convaincus… Un seul officier… un Français, mon père !… s'éleva énergiquement contre ce lâche abandon…

Fromental
À la bonne heure !

Georges
Il offrit de partager sa cabine avec moi… tout fut inutile… J'avais à peine conscience de moi-même… Je sentis que deux matelots m'emportaient sur un matelas et me descendaient dans un canot… Bientôt le bruit des rames m'apprit que nous avions quitté le bâtiment.

Fromental
Voilà les voyages ! les voilà !

Georges
Une vague, qui vint nous effleurer, me fit ouvrir les yeux… et quel fut mon étonnement en voyant assis au gouvernail ce même officier qui avait pris ma défense, il me serra la main et me dit ; "Je ne vous quitte pas, moi ! "

Madame de Verrières
Ah ! c'est bien !

Fromental
Le brave jeune homme !

Georges
Nous abordâmes…

Fromental
Et il envoya tout de suite chercher un médecin à la ville voisine !

Georges
Il n'y avait pas de médecin, il n'y avait pas de ville voisine… Ce fut alors que commença pour lui l'œuvre de dévouement et d'abnégation. Pendant six semaines, il s'est installé à mon chevet, il a dormi la tête sur mon lit, il m'a disputé au fléau avec le courage, avec la tendresse d'une mère qui lutte pour son enfant !

Madame de Verrières
C'est admirable !

Fromental
C'est sublime !

Georges
Eh bien, cet ami… ce frère…

Fromental
C'est Armand Bernier !

Georges
Lui-même !

Madame de Verrières (à part.)
Lui ! et il aime Thérèse !

Fromental
Oh ! mais c'est tout à fait différent… un homme qui t'a sauvé… Sois tranquille, nous lui ferons une position… une grande position…

Georges (lui serrant la main.)
Je n'en ai jamais douté !


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