FRONTIN
Allons… je suis coffré!…Mais pourquoi?… Comment! je me présente hier chez M. de Villeroi, muni de certificats qui tous attestent ma probité, ma moralité et ma fidélité, on m'accueille, on me choie, on me fait dîner… et, ce matin, M. le duc me fait arrêter!… Que signifie ? (Après réflexion.)
Quand je suis entré, cet homme de robe lisait un papier… qu'il a remis sur ce bureau… Si je pouvais… (S'approchant du bureau et lisant.)
"A monseigneur le régent…" Ce n'est pas ça.
(Il continue à chercher.)
THOMAS(entrant mystérieusement par la droite, et se rappelant.)
"Dans la doublure de l'habit, au côté droit, sont des papiers de la plus haute importance. Il faut, à tout prix, que tu pénètres dans la prison de ton maître et que tu brûles ces papiers." Je tiens les paperasses… Maintenant, il me faut du feu et du mystère.
FRONTIN(trouvant la lettre de Villeroi.)
Ah! voici!
(Il la lit bas.)
THOMAS(à part, grelottant.)
Je couve un refroidissement, c'est sûr!… Oh! une cheminée!
(Il y va.)
FRONTIN(à part.)
Tout cela est exact… Et c'est ce vieux duc cacochyme qui me dénonce!… Oh! si je pouvais me venger!…
THOMAS(à part, regardant ses papiers.)
Si on était curieux, tout de même!… (Faisant mine de les lire.)
Voyons donc! voyons donc!
FRONTIN(apercevant THOMAS.)
Hein!… mais je ne me trompe pas!… le marchand de canards, mon remplaçant!… (A THOMAS.)
Et que fait là M. de Frontin?
THOMAS(cachant ses papiers.)
Un étranger! (Le reconnaissant.)
Tiens! c'est vous!… Ah! vous voilà, vous!… Et ça va bien, vous ?
FRONTIN(lui tapant sur la joue.)
Et toi ?
THOMAS
Oh! moi… j'ai été sur pied toute la nuit.
FRONTIN
Je comprends… l'inquiétude… quand on a la conscience malade…
THOMAS
Oh! ce n'est pas précisément la conscience… Les prisons sont si humides…
FRONTIN
Mais, pourquoi as-tu été arrêté ?… Tu as donc fait des tiennes ?
THOMAS
Non, là, franchement… je ne suis pas ici pour les miennes… et même je ne sais pas trop pour lesquelles de qui j'y suis… Cependant j'ai une idée… Profitant de mes fréquents rapports avec le guichetier… que j'ai beaucoup importuné cette nuit… je l'ai interrogé sur ma position… Savez-vous ce qu'il m'a répondu ?… "Ah! Jeune homme! tout n'est pas rose, quand on conspire!"
FRONTIN
Conspirer!… toi ?
THOMAS
C'est l'opinion du porte-clés… (Solennellement.)
Tel que vous me voyez, je suis chargé d'une mission de la plus haute importance.
FRONTIN
Toi ?
THOMAS
Oui. On me donne vingt-cinq louis pour brûler ces papiers.
FRONTIN(avec intérêt.)
Vingt-cinq louis ?… Et tu sais ce qu'ils contiennent ?
THOMAS
Je viens de tes parcourir… Mais aujourd'hui les grands seigneurs écrivent si mal… et les marchands de canards lisent si peu…
FRONTIN
Voyons!
THOMAS
Au fait, je peux me confier à vous… Vous êtes mon bienfaiteur… et puis, ça me mettra au courant. (Il lui remet les papiers.)
Allez… Moi, je vais tisonner… Faut que ça flambe.
(Il va a la cheminée.)
FRONTIN(les parcourant, à part.)
Que vois-je! des papiers de cette importance entre les mains de ce…
THOMAS(de la cheminée.)
Des pattes de mouche, hein?
FRONTIN(à part.)
Une conspiration!… tout le plan des conjurés!
THOMAS(de même.)
Eh bien !… de quoi qu'y retourne ?
FRONTIN
Rien!… une folie… une correspondance amoureuse… une femme compromise… (A part.)
Une liste… des adhésions… des signatures…
THOMAS
Y a-t-y un mari ?
FRONTIN
Il y en a cinq !
THOMAS
Cinq !… Eh bien ! cette historiette m'amuse, palsambleu !
FRONTIN(à part.)
Quelle découverte!… Ces papiers entre les mains du régent… et plus d'un noble seigneur se réveillerait à la Bastille!
THOMAS
Il paraît que le frère est un gaillard !
FRONTIN(à part.)
Les premiers noms de la noblesse de France! (Tout à coup.)
Ah! quelle idée!… un de plus… celui de Villeroi!… Ah! monseigneur, vous allez me payer mes six mois de prison!
THOMAS
V'là que ça flambe!… Allons, allons, jetons tout ça au feu!
FRONTIN
Au feu!… C'est juste… Tu as promis… c'est sacré.
THOMAS
Et mes vingt-cinq louis… c'est sacré aussi!
FRONTIN(à part, en se fouillant.)
Qu'est-ce que je pourrais bien lui donner en échange… Ah! mes certificats!… (THOMAS revient à FRONTIN.)
Je m'en accorderai d'autres. (Haut, lui remettant ses certificats.)
Tiens, brûle.
THOMAS(retournant à la cheminée.)
C'est ça, je vais faire ma petite cuisine… Dites donc, je vais fricasser cinq maris! (Jetant un papier.)
Un!
FRONTIN(qui s'est approché du bureau.)
Eh! vite! exerçons mes petits talents.
THOMAS(même jeu.)
Deux!
FRONTIN(à part.)
Parbleu, monseigneur, votre signature se trouve là à propos… pour me servir de modèle.
THOMAS(à part.)
Trois!
FRONTIN(à part.)
Mais… comment faire parvenir… (Il cherche sur le bureau.)
Ah! cette dépêche au régent.
THOMAS(à part.)
Quatre!
FRONTIN(à part.)
En glissant ce papier sous ce pli… ça va tout seul!… le tour est joué! et Villeroi couche à la Bastille!
L'HUISSIER(en dehors.)
Sur-le-champ, monsieur le rapporteur.
(FRONTIN passe rapidement à droite.)
THOMAS(jetant le dernier papier.)
Et cinq…! Eh bien! il ne veut pas brûler, le cinquième mari!… Il fume!
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
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