Scène XIII


(ANGÉLIQUE, LE MARQUIS, DORANTE.)

Angélique
Je venais vous parler, mon père, et je ne suis point fâchée que Dorante soit présent à ce que j'ai à vous dire. Il a tantôt proposé un mariage qui m'a d'abord répugné, j'en conviens.

Dorante
Votre refus m'afflige, madame, mais je le respecte, et n'en murmure point.

Angélique
Un moment, monsieur. Je sais jusqu'où va l'amitié que mon père a pour vous ; et si vous vous étiez nommé, les choses se seraient passées différemment. Il n'aurait pas été question de mes répugnances ; ma tendresse pour lui les aurait fait taire ou me les aurait ôtées, monsieur. Il n'a tenu qu'à vous de lui épargner la douleur où je l'ai vu de mon refus ; je n'aurais pas eu celle de lui avoir déplu, et je ne l'ai chagriné que par votre faute.

Le Marquis
Eh ! non, ma fille ; vous ne m'avez point déplu ; ôtez-vous cela de l'esprit. Il est vrai que Dorante m'est cher, mais je ne saurais vous savoir mauvais gré d'avoir fait un autre choix.

Angélique
Vous m'excuserez, mon père ; vous ne voulez pas me le dire, et vous me ménagez ; mais vous étiez très mécontent de moi.

Le Marquis
Je vous répète que c'est une chimère.

Angélique
Très mécontent, vous dis-je ; je sais à quoi m'en tenir là-dessus, et mon parti est pris.

Dorante
Votre parti, madame ! Ah ! de grâce, achevez ; à quoi vous déterminez-vous ?

Le Marquis
Laissons cela, Angélique ; il n'est pas question ici de consulter mon goût ; vous êtes destinée à un autre : c'est au baron ; vous l'aimez, et voilà qui est fini.

Angélique
Non, mon père ; je ne l'épouserai pas non plus, puisque je sais qu'il ne vous plaît point.

Le Marquis
Vous l'épouserez, et je vous l'ordonne. Savez-vous à quoi j'ai pensé ? Dorante se disposait à partir, je l'ai retenu. Vous avez une sœur ; j'ai exigé qu'il la vît, j'ai eu de la peine à l'y résoudre. Il a fallu abuser un peu du pouvoir que j'ai sur lui ; mais enfin j'ai obtenu que nous irions la voir demain, et peut-être l'arrêtera-t-elle.

Dorante
Eh ! monsieur, cela n'est pas possible.

Le Marquis
Demandez à sa sœur. Dites, Angélique, n'est-il pas vrai qu'elle a de la beauté ?

Angélique
Mais oui, mon père.

Le Marquis
Venez ; j'ai dans mon cabinet un portrait d'elle que je veux vous montrer, et qui, de l'aveu de tout le monde, ne la flatte pas.


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