(LE MARQUIS, ANGÉLIQUE, DORANTE.)
Le Marquis (arrêtant Dorante.)
Ah ! vous voilà, Dorante ? Vous avez sans doute proposé à ma fille le mariage dont vous m'avez parlé ? L'acceptez-vous, Angélique ?
Angélique
Non, mon père ; vous m'avez laissé la liberté d'en décider, à ce que m'a dit monsieur ; et vous avez bien prévu, je pense, que je ne l'accepterais pas.
Le Marquis
Point du tout, ma fille ; j'espérais tout le contraire. Dès que c'est Dorante qui le propose, ce ne peut être qu'un de ses amis, et par conséquent un homme très estimable, qui doit d'ailleurs avoir un rang, et que vous auriez pu épouser avec l'approbation de tout le monde. Cependant ce sont là de ces choses sur lesquelles il est juste que vous restiez la maîtresse.
Angélique
Je sais vos bontés pour moi, mon père ; mais je ne croyais pas m'être éloignée de vos intentions.
Dorante
Pour moi, monsieur, la répugnance de madame ne me surprend point. J'aurais assurément souhaité qu'elle ne l'eût point eue ; son refus me mortifie plus que je ne puis l'exprimer, mais j'avoue en même temps que je ne le blâme point. Née ce qu'elle est, c'est une noble fierté qui lui sied, et qui est à sa place ; aussi le mari que je proposais, et dont je sais les sentiments comme les miens, n'osait-il se flatter qu'on lui ferait grâce, et ne voyait que son amour et que son respect qui fussent dignes de madame.
Angélique
La vérité est que je n'aurais pas cru avoir besoin d'excuse auprès de vous, mon père ; et je m'imaginais que vous aimeriez mieux me voir au baron, qu'il ne tient qu'à moi d'épouser s'il gagne son procès.
Le Marquis
Il l'a gagné, ma fille ; le voilà en état de se marier, et vous serez contente.
Angélique
Il l'a gagné, mon père ? Quoi ! sitôt ?
Le Marquis
Oui, ma fille. Voici une lettre que je viens de recevoir de lui, et qu'il a écrite la veille de son départ. Il me mande qu'il vient vous offrir sa fortune, et nous le verrons peut-être ce soir. Vous m'aviez paru jusqu'ici très médiocrement prévenue en sa faveur, vous avez changé. Puisse-t-il mériter la préférence que vous lui donnez ! Si vous voulez lire sa lettre, la voilà.
Dorante
Je pourrais être de trop dans ce moment-ci, monsieur, et je vous laisse seuls.
Le Marquis
Non, Dorante, je n'ai rien à dire, et je n'aurais d'ailleurs aucun secret pour vous. Mais, de grâce, satisfaites ma juste curiosité. Quel est cet honnête homme de vos amis qui songeait à ma fille, et qui se serait cru si heureux de partager ses grands biens avec elle ? En vérité, nous lui devons du moins de la reconnaissance. Il aime tendrement Angélique, dites-vous ? Où l'a-t-il vue, depuis six ans qu'elle est sortie de Paris ?
Dorante
C'est ici, monsieur.
Le Marquis
Ici, dites-vous ?
Dorante
Oui, monsieur, et il y a même une terre.
Le Marquis
Je ne me rappelle personne que cela puisse regarder. Son nom, s'il vous plaît ? Vous ne risquez rien à nous le dire.
Dorante
C'est moi, monsieur.
Le Marquis
C'est vous ?
Angélique (à part.)
Qu'entends-je !
Le Marquis
Ah ! Dorante, que je vous regrette !
Dorante
Oui, monsieur ; c'est moi à qui l'amour le plus tendre avait imprudemment suggéré un projet dont il ne me reste plus qu'à demander pardon à madame.
Angélique
Je ne vous en veux point, Dorante ; j'en suis bien éloignée, je vous assure.
Dorante
Vous voyez à présent, madame, que ma douleur tantôt n'était point exagérée, et qu'il n'y avait rien de trop dans mes expressions.
Angélique
Vous avez raison ; je me trompais.
Le Marquis
Sans son inclination pour le baron, je suis persuadé qu'Angélique vous rendrait justice dans cette occurrence-ci ; mais il ne me reste plus que l'autorité de père, et vous n'êtes pas homme à vouloir que je l'emploie.
Dorante
Ah ! monsieur, de quoi parlez-vous ? Votre autorité de père ! Suis-je digne que madame vous entende seulement prononcer ces mots-là pour moi !
Angélique
Je ne vous accuse de rien, et je me retire.
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