MALINGEAR, MADAME MALINGEAR, EMMELINE, puis ALEXANDRINE
MALINGEAR
Enfin, elle est partie !
(Il remonte.)
EMMELINE
Maman, expliquez-moi…
MADAME MALINGEAR
Maintenant, tu peux remettre ton tablier et aller disposer ton dessert… Va, mon enfant!
EMMELINE
Oui, maman. (A part, en sortant.)
Mais je n'ai jamais fait de peinture à l'huile !
(Elle sort.)
MALINGEAR
Ah çà! à nous deux!… Je n'ai pas de dessert à disposer, moi… et j'espère que tu vas m'expliquer…
MADAME MALINGEAR
Quoi donc?
MALINGEAR
Eh bien, mais… tes gasconnades!… Pourquoi aller dire à cette dame que Duprez est le professeur de ta fille?… Nous ne le connaissons même pas!
MADAME MALINGEAR
Il fallait peut-être la dénoncer comme élève de monsieur Glumeau… de l'illustre M. Glumeau!
MALINGEAR
II n'est pas nécessaire de nommer son professeur… C'est comme ce tableau que tu attribues à Emmeline !
MADAME MALINGEAR
Eh bien?
MALINGEAR
Mais c'est un Lambinet.
MADAME MALINGEAR
Il n'est pas signé.
MALINGEAR
Ah! voilà une raison!… Et quand, au bout de deux mois de mariage, on dira à ta fille, qui n'a jamais tenu un pinceau : Faites-nous donc ce joli paysage qu'on voit là-bas… avec des vaches… Qu'est-ce qu'elle répondra?
MADAME MALINGEAR
C'est bien simple. Règle générale, dès que les jeunes filles se marient, elles négligent les beauxarts… Emmeline dira que les couleurs lui font mal aux nerfs, et elle renoncera à la peinture, voilà tout !
MALINGEAR
Voilà tout!… Ah çà! et moi : mon grand ouvrage sur les affections thorachiques ?
MADAME MALINGEAR
On dira qu'il est sous presse… Et la première imprimerie qui brûlera…
MALINGEAR
Et cette immense clientèle dont tu m'as gratifié?
MADAME MALINGEAR
J'ai eu tort… La première fois que cette dame nous fera visite, je rétablirai les choses dans leur vraie situation… "Madame, je vous présente M. le docteur Malingear, un fruit sec de la Faculté… Il ne soigne que des cochers gratis!… Mlle Malingear… elle sait lire, écrire et compter. Mme Malingear… qui fait ses robes elle-même et raccommode avec tendresse les habits de son mari…"
MALINGEAR
Il est inutile d'entrer dans ces détails, et plus inutile encore d'entasser tous ces mensonges… Veuxtu que je te le dise, c'est de l'orgueil! c'est de la vanité!… Tu veux jeter de la poudre aux yeux!
MADAME MALINGEAR
C'est vrai… j'en conviens.
MALINGEAR
Ah!
MADAME MALINGEAR
Mais, en cela, je ne fais que suivre l'exemple de mes contemporains… Chacun passe sa vie à jeter des petites pincées de poudre dans l'œil de son voisin… Pourquoi fait-on de la toilette? Pourquoi a-t-on des diamants, des voitures, des livrées ? Pour les yeux des autres !
MALINGEAR
Allons donc!
MADAME MALINGEAR
Mais, toi-même… sans t'en douter… tu obéis à l'entraînement général.
MALINGEAR
Moi?
MADAME MALINGEAR
Te souviens-tu de cette petite chaîne d'or fin qui attachait ta montre?
MALINGEAR
Oui… Eh bien?
MADAME MALINGEAR
Elle était si petite… si petite… que tu en avais honte… Tu la cachais sous ton gilet.
MALINGEAR
Pour ne pas la perdre.
MADAME MALINGEAR
Oh! non… pour ne pas la montrer!… Nous l'avons remplacée par une autre… énorme!… La voici; tu la caresses… tu l'étales, tu en es fier…
MALINGEAR
Quelle folie!
MADAME MALINGEAR
Mais tu te gardes bien de dire qu'elle est en imitation !
MALINGEAR(vivement.)
Chut!… Tais-toi donc!
MADAME MALINGEAR
C'est de la poudre aux yeux! Je t'y prends comme les autres!… Eh bien, ta fille… c'est la petite chaîne d'or… bien simple, bien vraie, bien modeste… Aussi personne n'y fait attention… il y a si peu de bijoutiers dans le monde!… Laisse-moi l'orner d'un peu de clinquant, et aussitôt chacun l'admirera… (Montrant la chaîne.)
Comme ton câble Ruolz.
MALINGEAR(à part.)
Il y a un fond de vérité dans ce qu'elle dit.
ALEXANDRINE(entrant.)
Monsieur !
MALINGEAR
Quoi?
ALEXANDRINE
C'est ce monsieur… le numéro 16, qui s'impatiente…
MALINGEAR
Ah! c'est vrai… nous l'avons oublié, ce pauvre homme! Faites-le entrer!…
MADAME MALINGEAR(vivement.)
Non, pas encore… il a le 16… (A ALEXANDRINE.)
Dites-lui que Monsieur tient le 14…
MALINGEAR
Ah! tu crois que je tiens le 14?… (A ALEXANDRINE.)
Allons, dites-lui que je tiens le 14!…
(ALEXANDRINE sort.)
MADAME MALINGEAR
Donne-moi ta bourse…
MALINGEAR
Ma bourse… pourquoi?
(Il la lui donne.)
MADAME MALINGEAR(disposant des pièces d'or.)
Dix louis dans ce plat… trois sur le bureau… et deux sur le piano!…
MALINGEAR(étonné.)
Qu'est-ce que tu fais là?
MADAME MALINGEAR
N'est-ce pas ainsi chez tous les médecins en réputation?
MALINGEAR
C'est vrai, c'est leur poudre!…
MADAME MALINGEAR
Maintenant, mets-toi à ton bureau!… De l'importance, de la brusquerie… peu de paroles, tu es pressé!… Je te laisse… appelle le numéro 16… (Revenant.)
Ah! n'oublie pas qu'il se porte bien… ne va pas te tromper!
MALINGEAR(assis à son bureau.)
Sois donc tranquille!
(MADAME MALINGEAR sort par la droite.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...