LES MÊMES, ROBERT
ROBERT(paraissant avec un oranger.)
Quoi? six cent mille francs!…
RATINOIS(à part.)
L'oncle Robert! J'allais lâcher le million!… Je l'aurais lâché… (Haut.)
M. Malingear, le futur beaupère.
MALINGEAR
Nous causions de la dot.
ROBERT(posant son oranger.)
Comment!… Et vous donnez six cent mille francs?… (Le saluant.)
Ah! Monsieur, permettez-moi de vous féliciter.
MALINGEAR
Mais M. Ratinois en donne autant!…
ROBERT
Comment, toi?
RATINOIS(embarrassé.)
Naturellement.
ROBERT(à RATINOIS.)
Mon compliment ! Je ne te savais pas aussi riche que cela!
RATINOIS
Aussi riche! aussi riche! Certainement, je suis à mon aise… mais quand on se trouve en face de gens… millionnaires… qui ont des exigences…
MALINGEAR
Ah! permettez, Monsieur… je n'ai rien exigé… C'est vous, au contraire, qui…
RATINOIS
Moi?… J'ai proposé l'argenterie, et, là-dessus, vous êtes parti…
MALINGEAR
Comment! je suis parti?… J'ai dit que je donnerais la garniture de cheminée du salon… et vous m'avez répondu : "Ah!" froidement.
RATINOIS
J'ai répondu "Ah!…" c'était mon droit; mais pas froidement.
MALINGEAR
Ah! permettez, Monsieur…
RATINOIS
Permettez, vous-même…
ROBERT
Enfin, vous êtes d'accord?…
RATINOIS
Nous sommes d'accord… si on veut… Mais je n'ai pas répondu froidement.
MALINGEAR
Je vous demande pardon.
RATINOIS
Non, Monsieur!
MALINGEAR
Si, Monsieur!
RATINOIS
Tenez, voulez-vous que je vous dise ma façon de penser?
MALINGEAR
Vous me ferez plaisir.
RATINOIS
Eh bien, vous cherchez un biais pour rompre ce mariage.
MALINGEAR
Comment, un biais?…
RATINOIS
Un biais! je maintiens le mot. Mais moi, qui suis un honnête homme…
MALINGEAR
Pas plus que moi!
RATINOIS
C'est possible! Mais comme je ne veux pas de biais, moi, je vous dis tout net…
TOUS DEUX
(ensemble.)
Rompons !
ROBERT
Voyons, Messieurs, pas d'emportement!
RATINOIS
Je ne m'emporte pas! (A part, avec satisfaction.)
Ça y est! c'est rompu!
MALINGEAR(à part, avec satisfaction.)
C'est une affaire terminée !
ROBERT
Diable! vous allez vite en affaires! Une rupture! (A RATINOIS.)
Heureusement que ton fils n'aimait pas mademoiselle Malingear, n'est-ce pas?
RATINOIS
Il ne l'aimait pas!… il ne l'aimait pas!… c'est-à-dire si… il en était fou! Mais, qu'est-ce que cela fait?
ROBERT(à MALINGEAR Et Mlle Emmeline)
n'était que médiocrement éprise de Frédéric ?
MALINGEAR
Médiocrement… c'est-à-dire… elle paraissait avoir un certain penchant pour lui… je ne le cache pas… mais…
ROBERT
Mais, qu'est-ce que cela fait, n'est-ce pas?
MALINGEAR
Je n'ai pas dit cela, permettez…
ROBERT(éclatant.)
Non, je ne permets pas!… Vous êtes des vaniteux, des orgueilleux!…
MALINGEAR
Monsieur!…
RATINOIS
Mon oncle!
ROBERT
Ah! voilà un quart d'heure que je me retiens… il faut que ça parte!… Vous cherchez, depuis quinze jours, à vous éblouir, à vous mentir, à vous tromper…
TOUS DEUX
Comment?…
ROBERT
Oui, à vous tromper, en vous promettant des dots que vous ne pouvez pas donner. Est-ce vrai?…En vous pavanant dans une existence, dans un luxe qui n'est pas le vôtre !
RATINOIS
Mais…
ROBERT
Il n'y a pas de mais!… J'ai fait causer tes domestiques. Quand je veux savoir, je cause avec les domestiques… c'est mon système!
RATINOIS
Qu'ont-ils pu vous dire?
ROBERT
D'abord, j'ai rencontré un Nègre dans la cuisine… Un Nègre qui traîne dans une cuisine… c'est malpropre! Et puis Monsieur a pris une voiture au mois, une loge aux Italiens! Ratinois aux Italiens!
RATINOIS
Mais il me semble que c'est un théâtre…
ROBERT
Qui t'ennuie!
RATINOIS
Ah!
ROBERT
Je te dis que ça t'ennuie… et ta femme aussi!… (Montrant MALINGEAR.)
Et Monsieur aussi!
RATINOIS
Eh bien, oui! là! c'est vrai!
MALINGEAR
J'avoue que l'opéra italien…
ROBERT
Alors, pourquoi louez-vous des loges?…
MALINGEAR
C'est ma femme…
RATINOIS
Ce sont ces dames…
ROBERT
Pour faire de rembarras, du genre, du fla-fla! Aujourd'hui, c'est la mode; on se jette de la poudre aux yeux, on fait la roue… on se gonfle… comme des ballons… Et quand on est tout bouffi de vanité… plutôt que d'en convenir… plutôt que de se dire : Nous sommes deux braves gens bien simples… deux bourgeois… on préfère sacrifier l'avenir, le bonheur de ses enfants… Ils s'aiment… mais on répond… Qu'est-ce que cela fait?… Et voilà des pères!… Bonsoir!
(Il veut sortir.)
RATINOIS(le retenant vivement.)
Mon oncle Robert, restez!… (Ému.)
Mon oncle Robert… vous avez des boucles d'oreilles… vous n'avez pas d'esprit, vous n'avez pas d'instruction… (Se frappant le cœur.)
Mais vous avez de ça !
MALINGEAR
Oh! oui.
RATINOIS(très ému.)
Vous m'avez remué… vous m'avez bouleversé!… Vous m'avez prouvé que je n'étais qu'un père à jeter par la fenêtre, (Montrant MALINGEAR.)
et Monsieur aussi… Mais ce n'est pas ma faute… c'est la faute de ma femme; elle me le payera!… (S'attendrissant.)
Et je vous jure que si jamais… au grand jamais… vous me voyez broncher dans le chemin qui… que… qui… (Tout à coup.)
Enfin, voulez-vous dîner avec nous?…
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...