(MONSIEUR SORBIN rentre quand elles sortent ; tous les acteurs précédents, PERSINET)
MONSIEUR SORBIN (, arrêtant Madame Sorbin.)
Ah ! je vous trouve donc, Madame Sorbin, je vous cherchais.
ARTHÉNICE
Finissez avec lui ; je vous reviens prendre dans le moment.
MONSIEUR SORBIN (, à Madame Sorbin.)
Vraiment, je suis très charmé de vous voir, et vos déportements sont tout à fait divertissants.
MADAME SORBIN
Oui, vous font-ils plaisir, Monsieur Sorbin ? Tant mieux, je n'en suis encore qu'au préambule.
MONSIEUR SORBIN
Vous avez dit à ce garçon que vous ne prétendiez plus fréquenter les gens de son étoffe ; apprenez-nous un peu la raison que vous entendez par là.
MADAME SORBIN
Oui-da, j'entends tout ce qui vous ressemble, Monsieur Sorbin.
MONSIEUR SORBIN
Comment dites-vous cela, Madame la cornette ?
MADAME SORBIN
Comme je le pense et comme cela tiendra, Monsieur le chapeau.
TIMAGÈNE
Doucement, Madame Sorbin ; sied-il bien à une femme aussi sensée que vous l'êtes de perdre jusque-là les égards qu'elle doit à son mari ?
MADAME SORBIN
À l'autre, avec son jargon d'homme ! C'est justement parce que je suis sensée que cela se passe ainsi. Vous dites que je lui dois, mais il me doit de même ; quand il me paiera, je le paierai, c'est de quoi je venais l'accuser exprès.
PERSINET
Eh bien, payez, Monsieur Sorbin, payez, payons tous.
MONSIEUR SORBIN
Cette effrontée !
HERMOCRATE
Vous voyez bien que cette entreprise ne saurait se soutenir.
MADAME SORBIN
Le courage nous manquera peut-être ? Oh ! que nenni, nos mesures sont prises, tout est résolu, nos paquets sont faits.
TIMAGÈNE
Mais où irez-vous ?
MADAME SORBIN
Toujours tout droit.
TIMAGÈNE
De quoi vivrez-vous ?
MADAME SORBIN
De fruits, d'herbes, de racines, de coquillages, de rien ; s'il le faut, nous pêcherons, nous chasserons, nous redeviendrons sauvages, et notre vie finira avec honneur et gloire, et non pas dans l'humilité ridicule où l'on veut tenir des personnes de notre excellence.
PERSINET
Et qui font le sujet de mon admiration.
HERMOCRATE
Cela va jusqu'à la fureur. (À Monsieur Sorbin.)
Répondez-lui donc.
MONSIEUR SORBIN
Que voulez-vous ? C'est une rage que cela, mais revenons au bon sens ; savez-vous, Madame Sorbin, de quel bois je me chauffe ?
MADAME SORBIN
Eh là ! Le pauvre homme avec son bois, c'est bien à lui parler de cela ; quel radotage !
MONSIEUR SORBIN
Du radotage ! À qui parlez-vous, s'il vous plaît ? Ne suis-je pas l'élu du peuple ? Ne suis-je pas votre mari, votre maître, et le chef de la famille ?
MADAME SORBIN
Vous êtes, vous êtes… Est-ce que vous croyez me faire trembler avec le catalogue de vos qualités que je sais mieux que vous ? Je vous conseille de crier gare ; tenez, ne dirait-on pas qu'il est juché sur l'arc-en-ciel ? Vous êtes l'élu des hommes, et moi l'élue des femmes ; vous êtes mon mari, je suis votre femme ; vous êtes le maître, et moi la maîtresse ; à l'égard du chef de famille, allons bellement, il y a deux chefs ici, vous êtes l'un, et moi l'autre, partant quitte à quitte.
PERSINET
Elle parle d'or, en vérité.
MONSIEUR SORBIN
Cependant, le respect d'une femme…
MADAME SORBIN
Cependant le respect est un sot ; finissons, Monsieur Sorbin, qui êtes élu, mari, maître et chef de famille ; tout cela est bel et bon ; mais écoutez-moi pour la dernière fois, cela vaut mieux : nous disons que le monde est une ferme, les dieux là-haut en sont les seigneurs, et vous autres hommes, depuis que la vie dure, en avez toujours été les fermiers tout seuls, et cela n'est pas juste, rendez-nous notre part de la ferme ; gouvernez, gouvernons ; obéissez, obéissons ; partageons le profit et la perte ; soyons maîtres et valets en commun ; faites ceci, ma femme ; faites ceci, mon homme ; voilà comme il faut dire, voilà le moule où il faut jeter les lois, nous le voulons, nous le prétendons, nous y sommes butées ; ne le voulez-vous pas ? Je vous annonce, et vous signifie en ce cas, que votre femme, qui vous aime, que vous devez aimer, qui est votre compagne, votre bonne amie et non pas votre petite servante, à moins que vous ne soyez son petit serviteur, je vous signifie que vous ne l'avez plus, qu'elle vous quitte, qu'elle rompt ménage et vous remet la clef du logis ; j'ai parlé pour moi ; ma fille, que je vois là-bas et que je vais appeler, va parler pour elle. Allons, Lina, approchez, j'ai fait mon office, faites le vôtre, dites votre avis sur les affaires du temps.
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