Scène XI



(LINA, un moment seule ; PERSINET)

LINA
Quel train ! Quel désordre ! Quand me mariera-t-on à cette heure ? Je n'en sais plus rien.

PERSINET
Eh bien, Lina, ma chère Lina, contez-moi mon désastre ; d'où vient que Madame Sorbin me chasse ? J'en suis encore tout tremblant, je n'en puis plus, je me meurs.

LINA
Hélas ! ce cher petit homme, si je pouvais lui parler dans son affliction.

PERSINET
Eh bien ! vous le pouvez, je ne suis pas ailleurs.

LINA
Mais on me l'a défendu, on ne veut pas seulement que je le regarde, et je suis sûre qu'on m'épie.

PERSINET
Quoi ! me retrancher vos yeux ?

LINA
Il est vrai qu'il peut me parler, lui, on ne m'a pas ordonné de l'en empêcher.

PERSINET
Lina, ma Lina, pourquoi me mettez-vous à une lieue d'ici ? Si vous n'avez pas compassion de moi, je n'ai pas longtemps à vivre ; il me faut même actuellement un coup d'œil pour me soutenir.

LINA
Si pourtant, dans l'occurrence, il n'y avait qu'un regard qui pût sauver mon Persinet, oh ! ma mère aurait beau dire, je ne le laisserais pas mourir.
(Elle le regarde.)

PERSINET
Ah ! le bon remède ! je sens qu'il me rend la vie ; répétez, m'amour, encore un tour de prunelle pour me remettre tout à fait.

LINA
Et s'il ne suffisait pas d'un regard, je lui en donnerais deux, trois, tant qu'il faudrait.
(Elle le regarde.)

PERSINET
Ah ! me voilà un peu revenu ; dites-moi le reste à présent ; mais parlez-moi de plus près et non pas en mon absence.

LINA
Persinet ne sait pas que nous sommes révoltées.

PERSINET
Révoltées contre moi ?

LINA
Et que ce sont les affaires d'État qui nous sont contraires.

PERSINET
Eh ! de quoi se mêlent-elles ?

LINA
Et que les femmes ont résolu de gouverner le monde et de faire des lois.

PERSINET
Est-ce moi qui les en empêche ?

LINA
Il ne sait pas qu'il va tout à l'heure nous être enjoint de rompre avec les hommes.

PERSINET
Mais non pas avec les garçons ?

LINA
Qu'il sera enjoint d'être laides et mal faites avec eux, de peur qu'ils n'aient du plaisir à nous voir, et le tout par le moyen d'un placard au son de la trompe.

PERSINET
Et moi je défie toutes les trompes et tous les placards du monde de vous empêcher d'être jolie.

LINA
De sorte que je n'aurai plus ni mules, ni corset, que ma coiffure ira de travers et que je serai peut-être habillée d'un sac ; voyez à quoi je ressemblerai.

PERSINET
Toujours à vous, mon petit cœur.

LINA
Mais voilà les hommes qui sortent, je m'enfuis pour avertir ma mère. Ah ! Persinet ! Persinet ! (Elle fuit.)

PERSINET
Attendez donc, j'y suis ; ah ! maudites lois, faisons ma plainte à ces messieurs.

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