Scène II



(Les acteurs précédents, MONSIEUR SORBIN, TIMAGÈNE)

TIMAGÈNE
Ah ! pardon, belle Arthénice, je ne vous croyais pas si près.

MONSIEUR SORBIN
Qu'est-ce que c'est que tu veux, ma femme ? nous avons hâte.

MADAME SORBIN
Eh ! là, là, tout bellement, je veux vous voir, Monsieur Sorbin, bonjour ; n'avez-vous rien à me communiquer, par hasard ou autrement ?

MONSIEUR SORBIN
Non, que veux-tu que je te communique, si ce n'est le temps qu'il fait, ou l'heure qu'il est ?

ARTHÉNICE
Et vous, Timagène, que m'apprendrez-vous ? Parle-t-on des femmes parmi vous ?

TIMAGÈNE
Non, Madame, je ne sais rien qui les concerne ; on n'en dit pas un mot.

ARTHÉNICE
Pas un mot, c'est fort bien fait.

MADAME SORBIN
Patience, l'affiche vous réveillera.

MONSIEUR SORBIN
Que veux-tu dire avec ton affiche ?

MADAME SORBIN
Oh ! rien, c'est que je me parle.

ARTHÉNICE
Eh ! dites-moi, Timagène, où allez-vous tous deux d'un air si pensif ?

TIMAGÈNE
Au Conseil, où l'on nous appelle, et où la noblesse et tous les notables d'une part, et le peuple de l'autre, nous menacent, cet honnête homme et moi, de nous nommer pour travailler aux lois, et j'avoue que mon incapacité me fait déjà trembler.

MADAME SORBIN
Quoi, mon mari, vous allez faire des lois ?

MONSIEUR SORBIN
Hélas, c'est ce qui se publie, et ce qui me donne un grand souci.

MADAME SORBIN
Pourquoi, Monsieur Sorbin ? Quoique vous soyez massif et d'un naturel un peu lourd, je vous ai toujours connu un très bon gros jugement qui viendra fort bien dans cette affaire-ci ; et puis je me persuade que ces messieurs auront le bon esprit de demander des femmes pour les assister, comme de raison.

MONSIEUR SORBIN
Ah ! tais-toi avec tes femmes, il est bien question de rire !

MADAME SORBIN
Mais vraiment, je ne ris pas.

MONSIEUR SORBIN
Tu deviens donc folle ?

MADAME SORBIN
Pardi, Monsieur Sorbin, vous êtes un petit élu du peuple bien impoli ; mais par bonheur, cela se passera avec une ordonnance, je dresserai des lois aussi, moi.

MONSIEUR SORBIN (, il rit.)
Toi ! hé ! hé ! hé ! hé !

TIMAGÈNE (, riant.)
Hé ! hé ! hé ! hé !…

ARTHÉNICE
Qu'y a-t-il donc là de si plaisant ? Elle a raison, elle en fera, j'en ferai moi-même.

TIMAGÈNE
Vous, Madame ?

MONSIEUR SORBIN (, riant.)
Des lois !

ARTHÉNICE
Assurément.

MONSIEUR SORBIN (, riant.)
Ah bien, tant mieux, faites, amusez-vous, jouez une farce ; mais gardez-nous votre drôlerie pour une autre fois, cela est trop bouffon pour le temps qui court.

TIMAGÈNE
Pourquoi ? La gaieté est toujours de saison.

ARTHÉNICE
La gaieté, Timagène ?

MADAME SORBIN
Notre drôlerie, Monsieur Sorbin ? Courage, on vous en donnera de la drôlerie.

MONSIEUR SORBIN
Laissons-là ces rieuses, Seigneur Timagène, et allons-nous-en. Adieu, femme, grand merci de ton assistance.

ARTHÉNICE
Attendez, j'aurais une ou deux réflexions à communiquer à Monsieur l'Élu de la noblesse.

TIMAGÈNE
Parlez, Madame.

ARTHÉNICE
Un peu d'attention ; nous avons été obligés, grands et petits, nobles, bourgeois et gens du peuple, de quitter notre patrie pour éviter la mort ou pour fuir l'esclavage de l'ennemi qui nous a vaincus.

MONSIEUR SORBIN
Cela m'a l'air d'une harangue, remettons-la à tantôt, le loisir nous manque.

MADAME SORBIN
Paix, malhonnête.

TIMAGÈNE
Écoutons.

ARTHÉNICE
Nos vaisseaux nous ont portés dans ce pays sauvage, et le pays est bon.

MONSIEUR SORBIN
Nos femmes y babillent trop.

MADAME SORBIN (, en colère.)
Encore !

ARTHÉNICE
Le dessein est formé d'y rester, et comme nous y sommes tous arrivés pêle-mêle, que la fortune y est égale entre tous, que personne n'a droit d'y commander, et que tout y est en confusion, il faut des maîtres, il en faut un ou plusieurs, il faut des lois.

TIMAGÈNE
Hé, c'est à quoi nous allons pourvoir, Madame.

MONSIEUR SORBIN
Il va y avoir de tout cela en diligence, on nous attend pour cet effet.

ARTHÉNICE
Qui, nous ? Qui entendez-vous par nous ?

MONSIEUR SORBIN
Eh pardi, nous entendons, nous, ce ne peut pas être d'autres.

ARTHÉNICE
Doucement, ces lois, qui est-ce qui va les faire, de qui viendront-elles ?

MONSIEUR SORBIN (, en dérision.)
De nous.

MADAME SORBIN
Des hommes !

MONSIEUR SORBIN
Apparemment.

ARTHÉNICE
Ces maîtres, ou bien ce maître, de qui le tiendra-t-on ?

MADAME SORBIN (, en dérision.)
Des hommes.

MONSIEUR SORBIN
Eh ! apparemment.

ARTHÉNICE
Qui sera-t-il ?

MADAME SORBIN
Un homme.

MONSIEUR SORBIN
Eh ! qui donc ?

ARTHÉNICE
Et toujours des hommes et jamais de femmes, qu'en pensez-vous, Timagène ? car le gros jugement de votre adjoint ne va pas jusqu'à savoir ce que je veux dire.

TIMAGÈNE
J'avoue, Madame, que je n'entends pas bien la difficulté non plus.

ARTHÉNICE
Vous ne l'entendez pas ? Il suffit, laissez-nous.

MONSIEUR SORBIN (, à sa femme.)
Dis-nous donc ce que c'est.

MADAME SORBIN
Tu me le demandes, va-t'en.

TIMAGÈNE
Mais, Madame…

ARTHÉNICE
Mais, Monsieur, vous me déplaisez là.

MONSIEUR SORBIN (, à sa femme.)
Que veut-elle dire ?

MADAME SORBIN
Mais va porter ta face d'homme ailleurs.

MONSIEUR SORBIN
À qui en ont-elles ?

MADAME SORBIN
Toujours des hommes, et jamais de femmes, et ça ne nous entend pas.

MONSIEUR SORBIN
Eh bien, après ?

MADAME SORBIN
Hum ! Le butor, voilà ce qui est après.

TIMAGÈNE
Vous m'affligez, Madame, si vous me laissez partir sans m'instruire de ce qui vous indispose contre moi.

ARTHÉNICE
Partez, Monsieur, vous le saurez au retour de votre Conseil.

MADAME SORBIN
Le tambour vous dira le reste, ou bien le placard au son de la trompe.

MONSIEUR SORBIN
Fifre, trompe ou trompette, il ne m'importe guère ; allons, Monsieur Timagène.

TIMAGÈNE
Dans l'inquiétude où je suis, je reviendrai, Madame, le plus tôt qu'il me sera possible.

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