PRÉVANNES, SEUL; PUIS VALBRUN.
PRÉVANNES(seul.)
Maintenant, Valbrun, à nous deux ! Il y a bien assez longtemps que tu m'impatientes et que tu retardes tous nos projets ; cette fois, morbleu ! je te tiens, et mort ou vif, tu te marieras.
VALBRUN
C'est vous, Monsieur ?
PRÉVANNES
Comme vous voyez. Ce n'est peut-être pas moi que vous cherchiez ?
VALBRUN
Pardonnez-moi, Monsieur, c'est vous-même, et vous savez sans doute ce que j'ai à vous dire.
PRÉVANNES
Pas encore, mais il ne tient qu'à vous…
VALBRUN
Je vous rapporte votre chapeau.
PRÉVANNES(reprenant son chapeau.)
Bien obligé, j'en étais inquiet.
VALBRUN(lui montrant sa lettre.)
Cette lettre est de votre main?
PRÉVANNES
Oui, Monsieur.
VALBRUN
Et vous comprenez ce qu'elle a d'outrageant pour moi.
PRÉVANNES
Je ne pense pas qu'il y soit question de vous ?
VALBRUN
Et vous savez aussi, je suppose, de quel nom mérite d'être appelé celui qui a osé l'écrire !
PRÉVANNES
De quel nom ? Le nom est au bas.
VALBRUN
Oui, monsieur : c'était celui d'un homme que j'ai aimé depuis mon enfance, en qui j'avais confiance entière, qui a été, en toute occasion, le confident de mes plus secrètes, de mes plus intimes pensées, et que je ne peux plus appeler maintenant que du nom de traître et de faux ami.
PRÉVANNES
Passons, s'il vous plaît sur les qualités.
VALBRUN
Non seulement il m'a trahi; mais, pour le faire, il s'est servi de mon amitié même et de ma confiance.
PRÉVANNES
Passons, de grâce.
VALBRUN
Prétendez-vous me railler ?
PRÉVANNES
Non, Monsieur, je vous jure.
VALBRUN
Que répondrez-vous donc qui puisse excuser votre conduite dans cette maison ?
PRÉVANNES
Je ne vois pas qu'elle soit mauvaise.
VALBRUN
Sans doute… Elle vous a réussi ! Et vous êtes apparemment au-dessus de ces petites considérations de bonne foi et de délicatesse que le reste des hommes…
PRÉVANNES
Mille pardons. Je vous ai déjà prié de passer là-dessus. Un moment de dépit peu avoir ses droits, mais il ne faut pas en abuser.
VALBRUN
Je n'en saurais tant dire, Monsieur, que vous n'en méritiez davantage.
PRÉVANNES
Soit, mais j'en ai entendu assez, et si vous n'avez rien à ajouter…
VALBRUN
Ce que j'ai à ajouter est bien simple. Je vous demande raison.
PRÉVANNES
Je refuse.
VALBRUN
Vous refusez ?… Je ne croyais pas que, pour faire tirer l'épée à M. de Prévannes, il fallait le provoquer deux fois.
PRÉVANNES
Cent fois s'il ne veut pas la tirer.
VALBRUN
Et quel est le prétexte de ce refus?
PRÉVANNES
Le prétexte? Et quel est, s'il vous plaît, celui de votre provocation ?
VALBRUN
Quoi ! vous m'enlevez la comtesse…
PRÉVANNES
Est-ce que vous êtes son parent, ou son amant, ou son mari, ou seulement un de ses amis?
VALBRUN
Je suis… oui, je suis un de ses amis, un de ceux qui l'aiment le plus au monde, et j'ai le droit…
PRÉVANNES
Un instant, permettez. J'ai pu faire, il est vrai, ma cour à la comtesse ; mais vous concevez que, s'il faut, à cause de cela, que je me batte avec tous ses amis…
VALBRUN
Je suis plus qu'un ami pour elle… Je devais l'épouser…
PRÉVANNES
Que ne l'avez-vous fait ? Qui vous en empêchait ?
VALBRUN
Qui m'en empêchait, quand tout mon amour, toute ma foi en la parole donnée n'était pour vous qu'un sujet de raillerie ! lorsque vous me regardiez à plaisir tomber dans le piège que vous m'avez tendu ! lorsque vous abusiez, jour par jour, de ma patiente crédulité ! lorsque vous étiez là, tous deux, déjà d'accord, sans doute, tandis que moi, seul, seul avec ma souffrance, seul, si on l'est jamais quand on aime !…
PRÉVANNES
Nous retombons dans l'avant-propos.
VALBRUN
Edouard ! C'est toi qui m'as traité ainsi !
PRÉVANNES
Je croyais. Monsieur, que tout à l'heure vous me donniez un autre nom.
VALBRUN
Oui, Monsieur, vous avez raison. Vous me rappelez mes paroles, et, puisqu'il vous plaît de n'y point répondre…
PRÉVANNES
Je ne réponds point à des paroles sans but, sans consistance et sans raison.
VALBRUN
Sans but ! C'est vous qui refusez de vous battre.
PRÉVANNES
Je ne refuse pas absolument. Je demande à quel titre vous me provoquez.
VALBRUN
Eh bien! puisqu'il en est ainsi…
PRÉVANNES
Oui, certes, je demande encore une fois si vous êtes le frère, ou l'amant, ou le mari de la comtesse, et, si vous n'êtes rien de tout cela, je tiens pour nulles vos forfanteries. Il n'entre pas dans mes habitudes de me couper la gorge avec le premier venu.
VALBRUN
Le premier venu, juste ciel !
PRÉVANNES
Eh ! sans doute ; qu'êtes-vous de plus ? Un ami de la maison, d'accord ; une connaissance agréable sans doute, qu'on rencontre peut-être un peu trop souvent chez une jolie femme vive, légère, un peu perfide, j'en conviens, d'une réputation à demi voilée…
VALBRUN
Parlez-vous ainsi de la comtesse ?
PRÉVANNES
Pourquoi donc pas ? Sur ce point-là aussi, allez-vous encore me chercher chicane ?
VALBRUN
Oui, morbleu; c'est trop ! J'ai pu supporter vos froides et cruelles railleries, mais vous insultez une femme que j'estime et que vous devriez respecter, puisque vous dites que vous l'aimez ; venez, monsieur, entrons chez elle. Je n'ai pas, dites-vous, le droit de la défendre ; eh bien ! ce droit que j'ai perdu, que vous m'avez ravi, que j'avais hier, je le lui redemanderai, fût-ce pour un instant, et. elle me le rendra, je n'en doute pas. Toute perfide qu'elle est, je connais son coeur, et, malgré toutes vos trahisons, je l'ai tant aimée, qu'elle doit m'aimer encore. Je devais être son époux, je pouvais presque en porter le titre; qu'elle me le prête un quart d'heure, me rendrez-vous raison ? Venez, monsieur, entrons ici.
(Il va pour ouvrir la porte de la chambre de la comtesse.)
PRÉVANNES(l'arrêtant.)
Dis donc, Henri, te souviens-tu que ce malin je te comparais à un âne qui n'ose pas franchir un ruisseau ?
VALBRUN
Qu'est-ce à dire ?
PRÉVANNES
Eh ! le voilà, le ruisseau : c'est cette porte; allons, pousse-la donc ! Ce n'est pas sans peine que nous y sommes parvenus.
(Il pousse la porte. Entrent la comtesse et Marguerite.)
Un caprice, comédie en un acte écrite par Alfred de Musset en 1837, explore les subtilités des sentiments et les jeux d’amour dans un cadre bourgeois. L’histoire met en scène...
On ne saurait penser à tout, comédie en un acte écrite par Alfred de Musset en 1849, explore les petites absurdités de la vie conjugale et les quiproquos liés aux...
On ne badine pas avec l’amour, drame en trois actes écrit par Alfred de Musset en 1834, raconte une histoire d'amour tragique où les jeux de séduction et de fierté...
Louison, comédie en un acte écrite par Alfred de Musset en 1849, met en scène une situation légère et pleine de malice autour des thèmes de l’amour, de la jalousie...
Lorenzaccio, drame romantique écrit par Alfred de Musset en 1834, raconte l’histoire de Lorenzo de Médicis, surnommé Lorenzaccio, un jeune homme partagé entre ses idéaux de liberté et le cynisme...