(LA MODESTIE , FÉLICIE , LUCIDOR .)
FÉLICIE
À qui en avez-vous ? À qui en a-t-elle ? Dites-moi donc le crime que j'ai fait ; car je l'ignore ! De quoi s'est-elle fâchée ? De quoi l'êtes-vous ? Où cela va-t-il ?
LUCIDOR
Si le plaisir qu'on sent à vous voir la chagrine, sa peine est sans remède, Félicie ; mais n'y songez plus, nous nous passerons bien d'elle.
FÉLICIE
Il est pourtant vrai que, sans vous, je l'aurais suivie, Seigneur.
LUCIDOR
Vous repentez-vous déjà d'avoir bien voulu demeurer ? Que nous sommes différents l'un de l'autre ! Je ferais ma félicité d'être toujours avec vous : oui, Félicie, vous êtes les délices de mes yeux et de mon cœur.
FÉLICIE
À merveille ! Voilà un langage qui vient fort à propos ! Courage ! Si vous continuez sur ce ton-là, je pourrai bien avoir tort d'être ici.
LUCIDOR
Eh ! Qui pourrait condamner les sentiments que j'exprime ? Jamais l'amour offrit-il d'objet aussi charmant que vous l'êtes ? Vos regards me pénètrent ; ils sont des traits de flamme.
FÉLICIE(impatiente.)
Je vous dis que ces flammes-là vont encore effaroucher ma compagne.
(La Modestie paraît sombre.)
LUCIDOR
Eh ! Quel autre discours voulez-vous que je vous tienne ? Vous ne m'inspirez que des transports, et je vous en parle ; vous me ravissez, et je m'écrie ; vous m'embrasez du plus tendre et du plus invincible de tous les amours, et je soupire.
FÉLICIE
Ah ! Que j'ai mal fait de rester !
LUCIDOR
Ô ciel ! Quel discours !
LA MODESTIE
Vous voyez ce qui en est.
FÉLICIE(à la Modestie.)
Au moins, ne me quittez pas.
LA MODESTIE
Il est encore temps de vous retirer.
FÉLICIE
Oh ! Toujours temps ! Aussi n'y manquerai-je pas, s'il continue. Ah !
LUCIDOR
De grâce, adorable Félicie, expliquez-moi ce soupir ; à qui s'adresse-t-il ? Que signifie-t-il ?
FÉLICIE
Il signifie que je vais m'en retourner, et que vous n'êtes pas raisonnable.
LA MODESTIE
Allons donc, sauvez-vous.
LUCIDOR
Non, vous ne vous en retournerez pas sitôt ; vous n'aurez pas la cruauté de me déchirer le coeur.
FÉLICIE
En un mot, je ne veux pas que vous m'aimiez.
LUCIDOR
Donnez-moi donc la force de faire l'impossible.
FÉLICIE
L'impossible ! Et toujours des expressions tendres ! Eh bien ! Si vous m'aimez, ne me le dites point.
LUCIDOR
En quel endroit de la terre irez-vous, où l'on ne vous le dise pas ?
FÉLICIE(à la Modestie.)
Je n'ai point de réplique à cela ; mais je vous défie de me rien reprocher, car je me défends bien.
LUCIDOR
Content de vous voir, de vous aimer, je ne vous demande que de souffrir mes respects et ma tendresse.
FÉLICIE(face à la Modestie.)
Cela ne prend rien sur mon cœur ; ainsi, ne vous inquiétez pas ; ce ne sera rien.
LA MODESTIE
Son respect vous trompe et vous séduit.
LUCIDOR(à la Modestie.)
Vous, qui l'accompagnez, d'où vient que vous vous déclarez mon ennemie ?
LA MODESTIE
C'est que je suis l'amie de la vertu.
LUCIDOR(en baisant le main de Félicie.)
Et moi, je suis l'adorateur de la sienne.
LA MODESTIE(à Félicie.)
Et vous voyez qu'il l'attaque en l'adorant.(Elle fait semblant de partir.)
Je n'y tiens point non plus, Félicie.
FÉLICIE(courant après elle.)
Arrêtez, Modestie ! Seigneur, je vous déclare que je ne veux point la perdre.
LUCIDOR
Elle devrait avoir nom Férocité, et non pas Modestie.(Il va à elle.)
Revenez, Madame, revenez ; je ne dirai plus rien qui vous déplaise et je me tairai. Mais, pendant mon silence, Félicie, permettez à ces jeunes chasseurs, que vous voyez épars, de vous marquer, à leur tour, la joie qu'ils ont de vous avoir rencontrée ; ils me divertissent quelquefois moi-même par leurs danses et par leurs chants : souffrez qu'ils essaient de vous amuser. La musique et la danse ne doivent effrayer personne.(À Félicie, bas.)
Qu'elle est revêche et bourrue !
FÉLICIE(tout bas aussi.)
C'est ma compagne.
LUCIDOR
Asseyons-nous et écoutons.
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