Scène I



(FÉLICIE . LA FÉE , SOUS LE NOM D'HORTENSE.)

FÉLICIE
Il faut avouer qu'il fait un beau jour.

HORTENSE
Aussi y a-t-il longtemps que nous nous promenons.

FÉLICIE
Aussi le plaisir d'être avec vous, qui est toujours si grand pour moi, ne m'a-t-il jamais été si sensible.

HORTENSE
Je crois, en effet, que vous m'aimez, Félicie.

FÉLICIE
Vous croyez, Madame ! Quoi ! N'est-ce que d'aujourd'hui que vous êtes bien sûre de cette vérité-là, vous, avec qui je suis dès mon enfance, vous, à qui je dois tout ce que je puis avoir d'estimable dans le cœur et dans l'esprit ?

HORTENSE
Il est vrai que vous avez toujours été l'objet de mes complaisances ; et s'il vous reste encore quelque chose à désirer de mon pouvoir et de ma science, vous n'avez qu'à parler, Félicie ; je ne vous ai aujourd'hui menée ici que pour vous le dire.

FÉLICIE
Vos bontés m'ont-elles rien laissé à souhaiter ?

HORTENSE
N'y a-t-il point quelque vertu, quelque qualité dont je puisse encore vous douer ?

FÉLICIE
Il n'y en a point dont vous n'ayez voulu embellir mon âme.

HORTENSE
Vous avez bien de l'esprit, en demandez-vous encore ?

FÉLICIE
Je m'en fie à votre tendresse, elle m'en a sans doute donné tout ce qu'il m'en faut.

HORTENSE
Parcourez tous les avantages possibles, et voyez celui que je pourrais augmenter en vous, ou bien ajouter à ceux que vous avez : rêvez-y.

FÉLICIE
J'y rêve, puisque vous me l'ordonnez, et jusqu'ici je ne vois rien ; car enfin, que demanderais-je ? Attendez pourtant, Madame ; des grâces, par exemple, je n'y songeais point ; qu'en dites-vous ? Il me semble que je n'en ai pas assez.

HORTENSE
Des grâces, Félicie ! Je m'en garderai bien ; la nature y a suffisamment pourvu ; et si je vous en donnais encore, vous en auriez trop ; je vous nuirais.

FÉLICIE
Ah, Madame ! ce n'est assurément que par bonté que vous le dites ?

HORTENSE
Non, je vous parle sérieusement.

FÉLICIE
Je pense pourtant que je n'en serais que mieux, si j'en avais un peu plus.

HORTENSE
L'industrie de toutes vos réponses m'a fait deviner que vous en viendriez là.

FÉLICIE
Hélas !Madame, c'est de bonne foi ; si je savais mieux, je le dirais.

HORTENSE
Songez que c'est peut-être de tous les dons le plus dangereux que vous choisissez, Félicie.

FÉLICIE
Dangereux, Madame ! Oh ! Que non : vous m'avez trop bien élevée ; il n'y a rien à craindre.

HORTENSE
Vous ne vous y arrêtez pourtant que par l'envie de plaire.

FÉLICIE
Mais, de plaire ; non. Ce n'est pas positivement cela : c'est qu'on a l'amitié de tout le monde quand on est aimable, et l'amitié de tout le monde est utile et souhaitable.

HORTENSE
Oui, l'amitié, mais non pas l'amour de tout le monde.

FÉLICIE
Oh ! Pour celui-là, je n'y songe pas, je vous assure.

HORTENSE
Vous n'y songez pas, Félicie ! Regardez-moi ; vous rougissez : êtes-vous sincère ?

FÉLICIE
Peut-être que je ne le suis pas autant que je l'ai cru.

HORTENSE
N'importe : puisque vous le voulez, soyez aimable autant qu'on le peut être.
(Hortense la frappe de la main sur l'épaule.)

FÉLICIE(tressaillant de joie.)
Ah!… Je vous suis bien obligée, Madame.

HORTENSE
Vous voilà pourvue de toutes les grâces imaginables.

FÉLICIE
J'en ai une reconnaissance infinie ; et apparemment qu'il y a bien du changement en moi, quoique je ne le voie pas.

HORTENSE
C'est-à-dire que vous voulez en être sûre.(Elle lui présente un petit miroir.)
Tenez, regardez-vous.(Félicie se regarde. Hortense continue.)
Comment vous trouvez-vous ?

FÉLICIE
Comblée de vos bontés ; vous n'y avez rien épargné.

HORTENSE
Vous vous en réjouissez ; je ne sais si vous ne devriez pas en être inquiète.

FÉLICIE
Allez, Madame, vous n'aurez pas lieu de vous en repentir.

HORTENSE
Je l'espère ; mais à ce présent que je viens de vous faire, j'y prétends joindre encore une chose. Vous allez dans le monde, je veux vous rendre heureuse ; et il faut pour cela que je connaisse parfaitement vos inclinations, afin de vous assurer le genre de bonheur qui vous sera le plus convenable. Voyez-vous cet endroit où nous sommes ? C'est le monde même.

FÉLICIE
Le monde ! et je croyais être encore auprès de notre demeure.

HORTENSE
Vous n'en êtes pas éloignée non plus ; mais ne vous embarrassez de rien. Quoi qu'il en soit, votre cœur va trouver ici tout ce qui peut déterminer son goût.

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