Scène XIV


Les Mêmes, Edgard ; puis Marguerite ; puis Julie ; puis Poteu

Edgard
Mille pardons !… je vous dérange…

Gatinais
Vous ?… par exemple ! Vous voyez, je charmais les loisirs de madame Gatinais… qui brode… Quant à ma fille, elle est à son piano… Nous sommes là bien tranquilles.

Edgard
Excusez-moi, je vais vous adresser une demande, une demande… un peu singulière…

Gatinais (à part.)
La visite domiciliaire… Nous y voilà !

Edgard
Pourriez-vous me prêter quarante-deux francs ?

Madame Gatinais (étonnée.)
Quarante-deux francs !

Edgard
En marchant sur le trottoir, je gesticulais… je gesticule assez volontiers quand je prends des conclusions… et j'ai eu la maladresse de renverser la manne qu'un pâtissier portait sur sa tête.

Madame Gatinais (s'efforçant de rire.)
Ah ! c'est charmant !

Gatinais (de même.)
Quelle jolie anecdote à mettre dans les journaux !

Edgard
Alors, cet homme m'a réclamé quarante-deux francs… et, comme je ne les avais pas sur moi, la foule s'est amassée… les sergents de ville sont venus…

Gatinais
Comment ! c'est pour ça que les sergents de ville… ?

Edgard
Sans doute.

Gatinais (appelant.)
Marguerite !

Marguerite (paraissant au fond.)
Monsieur ?

Gatinais
Donnez quarante-deux francs au pâtissier qui est dans l'antichambre. (Marguerite sort. À part.)
Alors, il n'est plus nécessaire de cacher Gaudiband… Je vais lui ouvrir…
(Il se dirige vers la cheminée pour chercher la clef.)

Edgard (près de madame Gatinais)
Est-ce que nous ne verrons pas bientôt mademoiselle Julie ?

Madame Gatinais
Ma fille ?… (Apercevant Julie qui entre.)
La voici.

Gatinais (à part, fouillant les cendres avec les pincettes.)
Je ne trouve pas la clef.

Edgard (qui a pris son bouquet et se dispose à l'offrir à Julie, à part.)
C'est drôle ! il y avait deux camélias au milieu… Qu'est-ce qu'ils sont devenus ?… (Offrant.)
Mademoiselle…

Gatinais (prenant la clef avec les pincette.)
Ah ! la voici !… Sapristi !… elle est toute rouge !…
(Il cherche à l'introduire avec les pincettes dans la serrure de l'armoire.)

Edgard (continuant une conversation avec madame Gatinais)
Oui, madame, j'ai écrit aujourd'hui même à ma mère, qui habite Montauban, pour lui demander les papiers nécessaires…

Gatinais (se brûlant et poussant un cri.)
Aïe !…

Tous
Quoi ?

Gatinais
Rien !… Une crampe d'estomac. (À part.)
C'est encore trop chaud… Attendons !

Edgard (continuant sa conversation avec les dames.)
J'ai fait aujourd'hui une excellente journée ; j'ai enfin découvert l'assassin du tailleur…

Gatinais (étonné et laissant tomber les pincettes.)
Allons donc !

Madame Gatinais
Vous ?

Edgard (à Gatinais)
Devinez qui ?

Gatinais (inquiet.)
Mais… je ne sais pas…

Madame Gatinais
Comment voulez-vous que mon mari sache ?…

Edgard
Parce qu'il le connaît.

Gatinais
Je le connais ? (À part.)
Cet animal-là me donne des sueurs froides !

Edgard
C'est un noble… M. de Blancafort !

Gatinais
Comment ? (À part.)
Le père Tampon ! (Haut.)
Il y a erreur !

Edgard
La bourre a été faite avec la bande de son journal… c'est constaté… Nous avons obtenu immédiatement un mandat d'amener, et, à l'heure qu'il est, il doit être arrêté…

Gatinais
Arrêté !… Blancafort !

Poteau (paraissant en livrée de cocher, perruque poudrée et un fouet à la main.)
La soupe est servie !

Edgard
Mais où est donc mon parrain ?

Gatinais
Il va venir… il refroidit !

Edgard
Comment ?

Gatinais
Non ! il écrit à son notaire… dans mon cabinet… il nous rejoint… Offrez votre bras à ma fille.

Edgard
Mademoiselle…
(Ils se dirigent vers la porte de gauche.)

Gatinais (bas à Poteu)
Tu ouvriras la porte à la personne qui est dans l'armoire et tu lui diras qu'on est à table.

Poteu
Bien, monsieur.

Madame Gatinais (à son mari.)
Allons, à table !

Gatinais
Voilà !… (À part.)
Non, jamais je ne laisserai condamner le père Tampon, mon sauveur !… Jamais !…
(Tout le monde entre dans la salle à manger, excepté Poteu. Musique à l'orchestre jusqu'au baisser du rideau.)


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