Les Mêmes, Gaudiband
Gaudiband (sortant de la porte de droite, deuxième plan ; à lui-même.)
Ces bains de pieds me font un bien incroyable… Ah ! bonjour, Edgard !
Edgard (l'embrassant.)
Parrain…
Poteu (à part.)
Ca un filleul ? allons donc !…
Gaudiband
Quoi de nouveau, Poteu ?
Poteu
On a encore volé votre chasselas cette nuit.
Gaudiband (à Edgard)
Il y a un gredin qui, toutes les nuits, passe par-dessus le mur et cueille mon raisin à mesure qu'il mûrit !
Edgard
Il faut le guetter.
Gaudiband
Quand on le guette, il ne vient pas… et, dès qu'on ne le guette pas, il vient.
Edgard
Alors il faut procéder à une enquête.
Gaudiband
Comment ça ?
Edgard
Je m'en charge ! (À Poteu.)
Tu vas prendre deux arrosoirs, tu mouilleras fortement le pied des vignes, afin que la terre soit bien détrempée… et, quand le voleur viendra, nous aurons l'empreinte exacte de ses pas… nous compterons jusqu'aux clous de ses souliers.
Gaudiband
Tiens ! c'est très malin.
Edgard
C'est un garde champêtre qui m'a appris ça.
Gaudiband (à Poteu)
Tu entends ?… Va mouiller le pied des vignes.
Poteu
Oui, monsieur. (À part.)
Il est éreintant, son moyen !
Il sort par le fond.
Edgard
Soyez tranquille ; nous pincerons votre voleur.
Gaudiband
Si ça pouvait être Blancafort ! je le ferais asseoir au banc de l'infamie.
Edgard
Oh ! ce n'est pas probable !… Ce matin, il vous a envoyé quelque chose.
Gaudiband
Un trognon de chou. Je disais aussi : "Voilà bientôt douze heures que je n'ai rien reçu de lui…"
Edgard
Un papier timbré.
Gaudiband
Un papier timbré, à moi !… le misérable !… le… (Se calmant.)
Non, je ne veux pas me mettre en colère, ça me fait monter le sang à la tête… et je passe ma vie à tremper mes pieds dans l'eau… Qu'est-ce qu'il chante, son papier timbré ?
Edgard
Le voici (Lisant.)
: "Ce 13 septembre 1865, M. Ajax-Rutile de Blancafort fait sommation au sieur Gaudiband…"
Gaudiband
Il m'appelle le sieur Gaudiband ! (Se calmant.)
Non, je ne veux pas me mettre en colère.
Edgard (lisant.)
"Primo… D'avoir à contenir son chat, qui se livre la nuit à des courses folles et malséantes…"
Gaudiband
Mon chat est libre… depuis la prise de la Bastille ! Vieux noble !
Edgard (lisant.)
"Secundo… D'avoir à draper ses statues, qui peuvent offenser les regards des dames qui se reposent dans le kiosque dudit M. Ajax-Rutile de Blancafort. "
Gaudiband
Qu'elles ne regardent pas !
Edgard (lisant.)
"Faute de quoi, il poursuivra le sieur Gaudiband par tous les moyens de droit…"
Gaudiband
Toujours le sieur Gaudiband !
Edgard
"Coût : six francs soixante-quinze centimes. "
Gaudiband
Eh bien, veux-tu que je te dise ce que je pense de Blancafort ?… C'est un polisson de la vieille roche !
Edgard
allant à la table de gauche.
Il faut lui répondre de la même encre et sur papier timbré… Coût : six francs soixante-quinze centimes.
Gaudiband
Oui !… Il n'y en a pas de plus cher ?
Edgard
Non… Attendez, nous allons rédiger un modèle de sommation.
Gaudiband
Salée !…
Edgard
Que nous lui ferons porter par le même huissier…
Gaudiband
C'est ça ! Ecris. (Dictant.)
"Moi, Jean-Paul-Emile-Ernest-Stanislas-Edgard Gaudiband. "
Edgard
"Band ! "
Gaudiband
"Propriétaire, à Antony…, d'une maison qui ne doit rien à personne…"
Edgard
"Sonne ! "
Gaudiband
"Fais sommation au sieur Blancafort…" souligne sieur… "d'avoir… d'avoir…" (S'interrompant.)
Qu'est-ce que nous allons lui demander ?
Edgard
Laissez-moi faire, ça me connaît ! (Ecrivant.)
"Primo… D'avoir à contenir ses pigeons, qui viennent, sans mon autorisation, s'ébattre sur ma pelouse…"
Gaudiband (dictant.)
"Et s'y livrent à des voltiges folles et malséantes…"
Edgard (écrivant.)
"Faute de quoi, M. Gaudiband…"
Gaudiband
"Jean-Paul-Emile…"
Edgard (écrivant.)
"Se fera justice par tous les moyens de droit que lui donne la loi du 3 prairial an V…"
Gaudiband
"3 prairial an V…" ! Ah ! Edgard
je ne regrette pas l'argent que m'ont coûté tes examens !
Edgard
Ce n'est pas fini. (Ecrivant.)
"Secundo. Fais, en outre, sommation audit sieur Blancafort…"
Gaudiband
Souligne sieur !
Edgard (écrivant.)
"D'avoir à élaguer son noisetier, qui déborde…"
Gaudiband (dictant.)
"D'une façon cavalière et impertinente…"
Edgard (écrivant.)
"Sur le mur mitoyen… Faute de quoi, il procédera lui-même, hic et nunc…"
Gaudiband
Du latin !… il n'en a pas mis, lui ! C'est un âne !
Edgard (écrivant.)
"Hic et nunc, à l'élagage dudit…"
Gaudiband
"Sieur de Blancafort…"
Edgard
Non… "Dudit noisetier ! conformément aux dispositions de la loi du 9 ventôse an VII…"
Gaudiband
Bravo ! j'ose dire que c'est tapé !
Edgard (se levant.)
Je cours porter cela chez l'huissier.
Gaudiband
Et reviens vite. J'attends aujourd'hui la famille Gatinais
père, mère et fille.
Edgard (descendant la scène.)
Mademoiselle Julie
dont vous m'avez parlé !
Gaudiband (au milieu de la scène.)
Voyons, franchement, l'aimes-tu ?
Edgard
Mais je ne l'ai jamais vue.
Gaudiband
Je vais te la dépeindre. Son père est un ancien marchand de fil de fer galvanisé… la mère est une femme ravissante, qu'on ne peut regarder sans être profondément troublé… elle n'a que six ans de plus que sa fille.
Edgard
Comment, six ans ?… C'est une créole ?
Gaudiband
Non, elle est de Bougival… Gatinais a eu sa fille d'un premier mariage…
Edgard
Et comment est-elle ?
Gaudiband
Mais c'est une demoiselle… très bien… qui joue du piano… Le père racle du violon… L'autre jour, il m'a un peu embarrassé… il m'a demandé ce que tu faisais.
Edgard
Je suis avocat.
Gaudiband
Oui, mais tu ne plaides jamais.
Edgard
J'ai d'autres visées… plus hautes… J'ai l'espoir d'être nommé un jour secrétaire du secrétaire du parquet.
Gaudiband
Tu le connais ?
Edgard
Non… c'est-à-dire… je l'ai rencontré dans le monde… J'ai même eu dernièrement l'honneur de faire son whist… Alors, quand il se commet un petit crime, un petit délit… je me permets de lui envoyer des notes, dont il ne se sert pas toujours… mais cela me pose… cela m'affirme…
Gaudiband
Quel drôle d'état ! Je n'ai jamais songé à m'affirmer.
Edgard
Que voulez-vous !… c'est ma vocation… j'aime à conclure ; j'adore faire une enquête, traquer le vice et défendre la société.
Gaudiband
Cher enfant ! (Il l'embrasse avec émotion.)
Va… va vite chez l'huissier.
Edgard
J'y cours !
(Il sort par le fond.)
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