Scène VI


Gatinais, Gaudiband ; puis Madame Gatinais

Gaudiband
Elle est ravissante !… Ca me goûte.

Gatinais
Mais à quoi cela te sert-il ? Tu as pourtant passé l'âge des illusions.

Madame Gatinais (entrant avec un panier vide.)
Elle est partie, cette petite ? Et son panier ?

Gaudiband
Je le lui reporterai ; j'ai justement quelque chose à lui dire.

Madame Gatinais
Vous repartez tout de suite ?

Gaudiband
Non, ce soir. Je suis venu pour vous demander la permission de vous présenter officiellement Edgard
mon filleul.

Gatinais
Faites mieux… venez dîner avec nous tous les deux… sans cérémonie.

Gaudiband
J'accepte.

Madame Gatinais
Il a l'air fort bien, ce jeune homme. Est-il d'une bonne famille ?

Gaudiband
Oh ! excellente ! excellente !

Madame Gatinais
Qu'est-ce que fait son père ?

Gaudiband (embarrassé.)
Son père ?… il est rentier.

Madame Gatinais
Je pense que nous le verrons… il viendra nous faire la demande…

Gaudiband
Mon Dieu, mes amis, j'ai un aveu à vous faire… d'autant que vous finiriez toujours par le savoir.

Gatinais
Quoi donc ?

Gaudiband
C'est que… je ne sais comment vous dire ça… j'ai commis une faute… J'étais jeune… j'avais le cœur aimant. (Jetant un coup d'œil à madame Gatinais.)
Je l'ai toujours… Je me trouvais à Montauban pour affaires… Dans un bal public, je fis la connaissance d'une petite ouvrière qui travaillait dans une fabrique d'épingles… elle ne fut pas cruelle… nous nous estimâmes.

Gatinais
Il y a longtemps de ça ?

Gaudiband
Vingt-quatre ans… Au bout d'un mois, les affaires me rappelant à Paris, je dus rompre cette chaîne de roses…

Madame Gatinais
Oh ! les hommes ! même les plus laids !

Gaudiband
Hein ?

Madame Gatinais
Rien.

Gaudiband
Quelque temps après, je reçus une lettre timbrée de Montauban et contenant ces simples mots : "Je vais être mère, Edgard ; si vous êtes un honnête homme, venez ! "

Gatinais
Tu partis ?

Gaudiband
Non, je l'avoue, je ne gobai pas la chose. Je lui répondis : "Impossible de m'absenter, les affaires reprennent… envoyez-moi l'enfant…" Je n'y croyais pas, à l'enfant ! et, quinze jours après, je recevais la bourriche… (se reprenant)
le berceau.

Gatinais
Voilà une tuile !

Gaudiband
Je conviens que, dans le premier moment, je fus médiocrement flatté… mais, en regardant ce petit être si rose, si frais, et qui me ressemblait… je me pris à l'aimer…

Madame Gatinais
À la bonne heure !

Gaudiband
Je le mis en nourrice, je le mis au collège, je le mis chez l'avoué, et maintenant je voudrais le mettre dans votre famille.

Madame Gatinais
Comment ! votre filleul ?

Gatinais
C'est lui qui était dans la bourriche ?

Gaudiband
Il ignore encore le secret de sa naissance… Je n'ai pas besoin de vous dire qu'après moi il aura toute ma fortune.

Gatinais
Après tout, ce n'est pas sa faute, à ce garçon… Amène-le toujours, et nous verrons…

Gaudiband (en remontant.)
Nous viendrons peut-être un peu tard, parce que dans ce moment - il est très occupé.

Gatinais
Qu'est-ce qu'il fait ?

Gaudiband
Il continue sa petite enquête… à lui tout seul… un vrai chien de chasse !

Gatinais
Quelle enquête ?

Gaudiband
Eh bien, à Antony… le coup de fusil tiré…

Madame Gatinais
Ah ! oui, le tailleur !

Gatinais
Comment ! il s'occupe encore de ça !

Gaudiband
Toujours ! oh ! il est tenace !

Madame Gatinais
Moi, je désire bien qu'il réussisse.

Gatinais (à part.)
Merci !

Gaudiband
Dame ! son avenir est là ! Allons, sans adieu ; je cours rejoindre Edgard et je vous le ramène avec un bouquet.

Madame Gatinais
Je vous accompagne.
(Gaudiband sort par le fond avec madame Gatinais)


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