(MATHILDE, MADAME DELÉRY.)
MADAME DE LÉRY (derrière la scène.)
Personne nulle part ! qu'est-ce que cela veut dire ? on entre ici comme dans un moulin.(Elle ouvre la porte et crie en riant :)
Madame de Léry !(Elle entre. Mathilde se lève.)
Rebonsoir, chère ; pas de domestiques chez vous ; je cours partout pour trouver quelqu'un. Ah ! je suis rompue !
(Elle s'assoit.)
MATHILDE
Débarrassez-vous de vos fourrures.
MADAME DE LÉRY
Tout à l'heure ; je suis gelée. Aimez-vous ce renard-là ? On dit que c'est de la martre d'Éthiopie, je ne sais quoi ; c'est M. de Léry qui me l'a apporté de Hollande. Moi, je trouve ça laid, franchement ; je le porterai trois fois, par politesse, et puis je le donnerai à Ursule.
MATHILDE
Une femme de chambre ne peut pas mettre cela.
MADAME DE LÉRY
C'est vrai ; je m'en ferai un petit tapis.
MATHILDE
Eh bien ! ce bal était-il beau ?
MADAME DE LÉRY
Ah ! mon Dieu, ce bal ! mais je n'en viens pas. Vous ne croiriez jamais ce qui m'arrive.
MATHILDE
Vous n'y êtes donc pas allée ?
MADAME DE LÉRY
Si fait, j'y suis allée, mais je n'y suis pas entrée. C'est à mourir de rire. Figurez-vous une queue,… une queue…(Elle éclate de rire.)
Ces choses-là vous font-elles peur, à vous ?
MATHILDE
Mais oui ; je n'aime pas les embarras de voitures.
MADAME DE LÉRY
C'est désolant quand on est seule. J'avais beau crier au cocher d'avancer, il ne bougeait pas ; j'étais d'une colère ! j'avais envie de monter sur le siège ; je vous réponds bien que j'aurais coupé leur queue. Mais c'est si bête d'être là, en toilette, vis-à-vis d'un carreau mouillé ; car, avec cela, il pleut à verse. Je me suis divertie une demi-heure à voir patauger les passants, et puis j'ai dit de retourner. Voilà mon bal. — Ce feu me fait un plaisir ! je me sens renaître !
(Elle ôte sa fourrure. Mathilde sonne, et un domestique entre.)
MATHILDE
Le thé.
(Le domestique sort.)
MADAME DE LÉRY
M. de Chavigny est donc parti ?
MATHILDE
Oui ; je pense qu'il va à ce bal, et il sera plus obstiné que vous.
MADAME DE LÉRY
Je crois qu'il ne m'aime guère, soit dit entre nous.
MATHILDE
Vous vous trompez, je vous assure ; il m'a dit cent fois qu'à ses yeux vous étiez une des plus jolies femmes de Paris.
MADAME DE LÉRY
Vraiment ? C'est très poli de sa part ; mais je le mérite, car je le trouve fort bien. Voulez-vous me prêter une épingle ?
MATHILDE
Vous en avez à côté de vous.
MADAME DE LÉRY
Cette Palmire vous fait des robes, on ne se sent pas des épaules ; on croit toujours que tout va tomber. Est-ce elle qui vous fait ces manches-là ?
MATHILDE
Oui.
MADAME DE LÉRY
Très jolies, très bien, très jolies. Décidément il n'y a que les manches plates ; mais j'ai été longtemps à m'y faire ; et puis je trouve qu'il ne faut pas être trop grasse pour les porter, parce que sans cela on a l'air d'une cigale, avec un gros corps et de petites pattes.
MATHILDE
J'aime assez la comparaison.
(On apporte le thé.)
MADAME DE LÉRY
N'est-ce pas ? Regardez mademoiselle Saint-Ange. Il ne faut pourtant pas être trop maigre non plus, parce qu'alors il ne reste plus rien. On se récrie sur la marquise d'Ermont ; moi, je trouve qu'elle a l'air d'une potence. C'est une belle tête, si vous voulez, mais c'est une madone au bout d'un bâton.
MATHILDE (riant.)
Voulez-vous que je vous serve, ma chère ?
MADAME DE LÉRY
Rien que de l'eau chaude, avec un soupçon de thé et un nuage de lait.
MATHILDE (versant le thé.)
Allez-vous demain chez madame d'Égly ? Je vous prendrai, si vous voulez.
MADAME DE LÉRY
Ah ! madame d'Égly ! en voilà une autre ! avec sa frisure et ses jambes, elle me fait l'effet de ces grands balais pour épousseter les araignées.(Elle boit.)
Mais, certainement, j'irai demain. Non, je ne peux pas ; je vais au concert.
MATHILDE
Il est vrai qu'elle est un peu drôle.
MADAME DE LÉRY
Regardez-moi donc, je vous en prie.
MATHILDE
Pourquoi ?
MADAME DE LÉRY
Regardez-moi en face, là, franchement.
MATHILDE
Que me trouvez-vous d'extraordinaire ?
MADAME DE LÉRY
Eh ! certainement, vous avez les yeux rouges ; vous venez de pleurer, c'est clair comme le jour. Qu'est-ce qui se passe donc, ma chère Mathilde ?
MATHILDE
Rien, je vous jure. Que voulez-vous qu'il se passe ?
MADAME DE LÉRY
Je n'en sais rien, mais vous venez de pleurer ; je vous dérange, je m'en vais.
MATHILDE
Au contraire, chère ; je vous supplie de rester.
MADAME DE LÉRY
Est-ce bien franc ? Je reste, si vous voulez ; mais vous me direz vos peines.(Mathilde secoue la tête.)
Non ? Alors je m'en vais, car vous comprenez que du moment que je ne suis bonne à rien, je ne peux que nuire involontairement.
MATHILDE
Restez, votre présence m'est précieuse, votre esprit m'amuse, et s'il était vrai que j'eusse quelque souci, votre gaieté le chasserait.
MADAME DE LÉRY
Tenez, je vous aime. Vous me croyez peut-être légère ; personne n'est si sérieux que moi pour les choses sérieuses. Je ne comprends pas qu'on joue avec le cœur, et c'est pour cela que j'ai l'air d'en manquer. Je sais ce que c'est que de souffrir, on me l'a appris bien jeune encore. Je sais aussi ce que c'est que de dire ses chagrins. Si ce qui vous afflige peut se confier, parlez hardiment : ce n'est pas la curiosité qui me pousse.
MATHILDE
Je vous crois bonne, et surtout très sincère ; mais dispensez-moi de vous obéir.
MADAME DE LÉRY
Ah, mon Dieu ! j'y suis ! c'est la bourse bleue. J'ai fait une sottise affreuse en nommant madame de Blainville. J'y ai pensé en vous quittant ; est-ce que M. de Chavigny lui fait la cour ?
(Mathilde se lève, ne pouvant répondre, se détourne et porte son mouchoir à ses yeux.)
MATHILDE
Est-il possible ?
(Un long silence. Mathilde se promène quelque temps, puis va s'asseoir à l'autre bout de la chambre. Madame de Léry semble réfléchir. Elle se lève et s'approche de Mathilde ; celle-ci lui tend la main.)
MADAME DE LÉRY
Vous savez, ma chère, que les dentistes vous disent de crier quand ils vous font mal. Moi, je vous dis : Pleurez ! pleurez ! Douces ou amères, les larmes soulagent toujours.
MATHILDE
Ah ! mon Dieu !
MADAME DE LÉRY
Mais c'est incroyable, une chose pareille ! On ne peut pas aimer madame de Blainville ; c'est une coquette à moitié perdue, qui n'a ni esprit ni beauté. Elle ne vaut pas votre petit doigt ; on ne quitte pas un ange pour un diable.
MATHILDE (sanglotant.)
Je suis sûre qu'il l'aime, j'en suis sûre.
MADAME DE LÉRY
Non, mon enfant, ça ne se peut pas ; c'est un caprice, une fantaisie. Je connais M. de Chavigny plus qu'il ne pense ; il est méchant, mais il n'est pas mauvais. Il aura agi par boutade ; avez-vous pleuré devant lui ?
MATHILDE
Oh ! non, jamais !
MADAME DE LÉRY
Vous avez bien fait ; il ne m'étonnerait pas qu'il en fût bien aise.
MATHILDE
Bien aise ? bien aise de me voir pleurer ?
MADAME DE LÉRY
Eh ! mon Dieu, oui. J'ai vingt-cinq ans d'hier, mais je sais ce qui en est sur bien des choses. Comment tout cela est-il venu ?
MATHILDE
Mais… je ne sais…
MADAME DE LÉRY
Parlez. Avez-vous peur de moi ? Je vais vous rassurer tout de suite ; si, pour vous mettre à votre aise, il faut m'engager de mon côté, je vais vous prouver que j'ai confiance en vous et vous forcer à l'avoir en moi. Est-ce nécessaire ? Je le ferai. Qu'est-ce qu'il vous plaît de savoir sur mon compte ?
MATHILDE
Vous êtes ma meilleure amie ; je vous dirai tout, je me fie à vous. Il ne s'agit de rien de bien grave ; mais j'ai une folle tête qui m'entraîne. J'avais fait à M. de Chavigny une petite bourse en cachette que je comptais lui offrir aujourd'hui ; depuis quinze jours, je le vois à peine ; il passe ses journées chez madame de Blainville. Lui offrir ce petit cadeau, c'était lui faire un doux reproche de son absence et lui montrer qu'il me laissait seule. Au moment où j'allais lui donner ma bourse, il a tiré l'autre.
MADAME DE LÉRY
Il n'y a pas là de quoi pleurer.
MATHILDE
Oh ! si, il y a de quoi pleurer, car j'ai fait une grande folie ; je lui ai demandé l'autre bourse.
MADAME DE LÉRY
Aïe ! ce n'est pas diplomatique.
MATHILDE
Non, Ernestine, et il m'a refusé… Et alors… Ah ! j'ai honte…
MADAME DE LÉRY
Eh bien ?
MATHILDE
Eh bien ! je l'ai demandée à genoux. Je voulais qu'il me fît ce petit sacrifice, et je lui aurais donné ma bourse en échange de la sienne. Je l'ai prié,… je l'ai supplié…
MADAME DE LÉRY
Et il n'en a rien fait ; cela va sans dire. Pauvre innocente ! il n'est pas digne de vous !
MATHILDE
Ah ! malgré tout, je ne le croirai jamais !
MADAME DE LÉRY
Vous avez raison, je m'exprime mal. Il est digne de vous et vous aime ; mais il est homme et orgueilleux. Quelle pitié ! Et où est donc votre bourse ?
MATHILDE
La voilà ici sur la table.
MADAME DE LÉRY (prenant la bourse.)
Cette bourse-là ? Eh bien ! ma chère, elle est quatre fois plus jolie que la sienne. D'abord elle n'est pas bleue, ensuite elle est charmante. Prêtez-la-moi, je me charge bien de la lui faire trouver de son goût.
MATHILDE
Tâchez. Vous me rendrez la vie.
MADAME DE LÉRY
En être là après un an de mariage, c'est inouï ! Il faut qu'il y ait de la sorcellerie là-dedans. Cette Blainville, avec son indigo, je la déteste des pieds à la tête. Elle a les yeux battus jusqu'au menton. Mathilde, voulez-vous faire une chose ? Il ne nous en coûte rien d'essayer. Votre mari viendra-t-il ce soir ?
MATHILDE
Je n'en sais rien, mais il me l'a dit.
MADAME DE LÉRY
Comment étiez-vous quand il est sorti ?
MATHILDE
Ah ! j'étais bien triste, et lui bien sévère.
MADAME DE LÉRY
Il viendra. Avez-vous du courage ? Quand j'ai une idée, je vous en avertis, il faut que je me saisisse au vol ; je me connais, je réussirai.
MATHILDE
Ordonnez donc, je me soumets.
MADAME DE LÉRY
Passez dans ce cabinet, habillez-vous à la hâte et jetez-vous dans ma voiture. Je ne veux pas vous envoyer au bal, mais il faut qu'en rentrant vous ayez l'air d'y être allée. Vous vous ferez mener où vous voudrez, aux Invalides ou à la Bastille ; ce ne sera peut-être pas très divertissant, mais vous serez aussi bien là qu'ici pour ne pas dormir. Est-ce convenu ? Maintenant, prenez votre bourse, et enveloppez-la dans ce papier, je vais mettre l'adresse. Bien, voilà qui est fait. Au coin de la rue, vous ferez arrêter ; vous direz à mon groom d'apporter ici ce petit paquet, de le remettre au premier domestique qu'il rencontrera, et de s'en aller sans autre explication.
MATHILDE
Dites-moi du moins ce que vous voulez faire.
MADAME DE LÉRY
Ce que je veux faire, enfant, est impossible à dire, et je vais voir si c'est possible à faire. Une fois pour toutes, vous fiez-vous à moi ?
MATHILDE
Oui, tout au monde pour l'amour de lui.
MADAME DE LÉRY
Allons, preste ! Voilà une voiture.
MATHILDE
C'est lui ; j'entends sa voix dans la cour.
MADAME DE LÉRY
Sauvez-vous ! Y a-t-il un escalier dérobé par là ?
MATHILDE
Oui, heureusement. Mais je ne suis pas coiffée, comment croira-t-on à ce bal ?
MADAME DE LÉRY (ôtant la guirlande qu'elle a sur la tête et la donnant à Mathilde.)
Tenez, vous arrangerez cela en route.
(Mathilde sort.)
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