Un caprice
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Scène première

Alfred de Musset

Scène première

MATHILDE (seule, travaillant au filet.)
Encore un point, et j'ai fini.(Elle sonne ; un domestique entre.)
Est-on venu de chez Janisset ?

LE DOMESTIQUE
Non, Madame, pas encore.

MATHILDE
C'est insupportable ; qu'on y retourne ; dépêchez-vous.(Le domestique sort.)
J'aurais dû prendre les premiers glands venus ; il est huit heures ; il est à sa toilette ; je suis sûre qu'il va venir ici avant que tout soit prêt. Ce sera encore un jour de retard.(Elle se lève.)
Faire une bourse en cachette à son mari, cela passerait aux yeux de bien des gens pour un peu plus que romanesque. Après un an de mariage ! Qu'est-ce que madame de Léry, par exemple, en dirait si elle le savait ? Et lui-même, qu'en pensera-t-il ? Bon ! il rira peut-être du mystère, mais il ne rira pas du cadeau. Pourquoi ce mystère, en effet ? Je ne sais ; il me semble que je n'aurais pas travaillé de si bon cœur devant lui ; cela aurait eu l'air de lui dire : Voyez comme je pense à vous ; cela ressemblerait à un reproche ; tandis qu'en lui montrant mon petit travail fini, ce sera lui qui se dira que j'ai pensé à lui.

LE DOMESTIQUE (rentrant.)
On apporte cela à Madame de chez le bijoutier.
(Il donne un petit paquet à Mathilde.)

MATHILDE
Enfin !(Elle se rassoit.)
Quand M. de Chavigny viendra, prévenez-moi.(Le domestique sort.)
Nous allons donc, ma chère petite bourse, vous faire votre dernière toilette. Voyons si vous serez coquette avec ces glands-là ? Pas mal. Comment serez-vous reçue maintenant ? Direz-vous tout le plaisir qu'on a eu à vous faire, tout le soin qu'on a pris de votre petite personne ? On ne s'attend pas à vous, mademoiselle. On n'a voulu vous montrer que dans tous vos atours. Aurez-vous un baiser pour votre peine ?(Elle baise sa bourse et s'arrête.)
Pauvre petite ! tu ne vaux pas grand'chose ; on ne te vendrait pas deux louis. Comment se fait-il qu'il me semble triste de me séparer de toi ? N'as-tu pas été commencée pour être finie le plus vite possible ? Ah ! tu as été commencée plus gaiement que je ne t'achève. Il n'y a pourtant que quinze jours de cela ; que quinze jours, est-ce possible ? Non, pas davantage ; et que de choses en quinze jours ! Arrivons-nous trop tard, petite ?… Pourquoi de telles idées ? On vient, je crois ; c'est lui ; il m'aime encore.

UN DOMESTIQUE (entrant.)
Voilà monsieur le comte, madame.

MATHILDE
Ah, mon Dieu ! je n'ai mis qu'un gland et j'ai oublié l'autre. Sotte que je suis ! Je ne pourrai pas encore lui donner aujourd'hui ! Qu'il attende un instant, une minute, au salon ; vite, avant qu'il entre…

LE DOMESTIQUE
Le voilà, madame.
(Il sort. Mathilde cache sa bourse.)


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