(MATHILDE, CHAVIGNY.)
CHAVIGNY
Bonsoir, ma chère ; est-ce que je vous dérange ?
(Il s'assoit.)
MATHILDE
Moi, Henri ? quelle question !
CHAVIGNY
Vous avez l'air troublé, préoccupé. J'oublie toujours, quand j'entre chez vous, que je suis votre mari, et je pousse la porte trop vite.
MATHILDE
Il y a là un peu de méchanceté ; mais, comme il y a aussi un peu d'amour, je ne vous en embrasserai pas moins.(Elle l'embrasse.)
Qu'est-ce que vous croyez donc être, monsieur, quand vous oubliez que vous êtes mon mari ?
CHAVIGNY
Ton amant, ma belle ; est-ce que je me trompe ?
MATHILDE
Amant et ami, tu ne te trompes pas.(À part.)
J'ai envie de lui donner la bourse comme elle est.
CHAVIGNY
Quelle robe as-tu donc ? Tu ne sors pas ?
MATHILDE
Non, je voulais… j'espérais que peut-être ?…
CHAVIGNY
Vous espériez ?… Qu'est-ce que c'est donc ?
MATHILDE
Tu vas au bal ? Tu es superbe.
CHAVIGNY
Pas trop ; je ne sais si c'est ma faute ou celle du tailleur, mais je n'ai plus ma tournure du régiment.
MATHILDE
Inconstant ! vous ne pensez pas à moi en vous mirant dans cette glace.
CHAVIGNY
Bah ! à qui donc ? Est-ce que je vais au bal pour danser ? Je vous jure bien que c'est une corvée, et que je m'y traîne sans savoir pourquoi.
MATHILDE
Eh bien ! restez, je vous en supplie. Nous serons seuls, et je vous dirai…
CHAVIGNY
Il me semble que ta pendule avance ; il ne peut pas être si tard.
MATHILDE
On ne va pas au bal à cette heure-ci, quoi que puisse dire la pendule. Nous sortons de table il y a un instant.
CHAVIGNY
J'ai dit d'atteler ; j'ai une visite à faire.
MATHILDE
Ah ! c'est différent. Je… je ne savais pas,… j'avais cru…
CHAVIGNY
Eh bien ?
MATHILDE
J'avais supposé,… d'après ce que tu disais… Mais la pendule va bien ; il n'est que huit heures. Accordez-moi un petit moment. J'ai une petite surprise à vous faire.
CHAVIGNY (se levant.)
Vous savez, ma chère, que je vous laisse libre et que vous sortez quand il vous plaît. Vous trouverez juste que ce soit réciproque. Quelle surprise me destinez-vous ?
MATHILDE
Rien ; je n'ai pas dit ce mot-là, je crois.
CHAVIGNY
Je me trompe donc, j'avais cru l'entendre. Avez-vous là ces valses de Strauss ? Prêtez-les-moi, si vous n'en faites rien.
MATHILDE
Les voilà ; les voulez-vous maintenant ?
CHAVIGNY
Mais, oui, si cela ne vous gêne pas. On me les a demandées pour un ou deux jours. Je ne vous en priverai pas longtemps.
MATHILDE
Est-ce pour madame de Blainville ?
CHAVIGNY (prenant les valses.)
Plaît-il ? Ne parlez-vous pas de madame de Blainville ?
MATHILDE
Moi ! non. Je n'ai pas parlé d'elle.
CHAVIGNY
Pour cette fois j'ai bien entendu.(Il se rassoit.)
Qu'est-ce que vous dites de madame de Blainville ?
MATHILDE
Je pensais que mes valses étaient pour elle.
CHAVIGNY
Et pourquoi pensiez-vous cela ?
MATHILDE
Mais parce que… parce qu'elle les aime.
CHAVIGNY
Oui, et moi aussi ; et vous aussi, je crois ? Il y en a une surtout ; comment est-ce donc ? Je l'ai oubliée… Comment dit-elle donc ?
MATHILDE
Je ne sais pas si je m'en souviendrai.
(Elle se met au piano et joue.)
CHAVIGNY
C'est cela même ! C'est charmant, divin, et vous la jouez comme un ange, ou, pour mieux dire, comme une vraie valseuse.
MATHILDE
Est-ce aussi bien qu'elle, Henri ?
CHAVIGNY
Qui, elle ? madame de Blainville ? Vous y tenez, à ce qu'il paraît.
MATHILDE
Oh ! pas beaucoup. Si j'étais homme, ce n'est pas elle qui me tournerait la tête.
CHAVIGNY
Et vous auriez raison, madame. Il ne faut jamais qu'un homme se laisse tourner la tête, ni par une femme ni par une valse.
MATHILDE
Comptez-vous jouer ce soir, mon ami ?
CHAVIGNY
Eh ! ma chère, quelle idée avez-vous ? On joue, mais on ne compte pas jouer.
MATHILDE
Avez-vous de l'or dans vos poches ?
CHAVIGNY
Peut-être bien. Est-ce que vous en voulez ?
MATHILDE
Moi, grand Dieu ! que voulez-vous que j'en fasse ?
CHAVIGNY
Pourquoi pas ? Si j'ouvre votre porte trop vite, je n'ouvre pas du moins vos tiroirs, et c'est peut- être un double tort que j'ai.
MATHILDE
Vous mentez, monsieur ; il n'y a pas longtemps que je me suis aperçue que vous les aviez ouverts, et vous me laissez beaucoup trop riche.
CHAVIGNY
Non pas, ma chère, tant qu'il y aura des pauvres. Je sais quel usage vous faites de votre fortune, et je vous demande de me permettre de faire la charité par vos mains.
MATHILDE
Cher Henri ! que tu es noble et bon ! Dis-moi un peu : te souviens-tu d'un jour où tu avais une petite dette à payer, et où tu te plaignais de n'avoir pas de bourse ?
CHAVIGNY
Quand donc ? Ah ! c'est juste. Le fait est que, quand on sort, c'est une chose insupportable de se fier à des poches qui ne tiennent à rien…
MATHILDE
Aimerais-tu une bourse rouge avec un filet noir ?
CHAVIGNY
Non, je n'aime pas le rouge. Parbleu ! tu me fais penser que j'ai justement là une bourse toute neuve d'hier ; c'est un cadeau. Qu'en pensez-vous ?(Il tire une bourse de sa poche.)
Est-ce de bon goût ?
MATHILDE
Voyons ; voulez-vous me la montrer ?
CHAVIGNY
Tenez.
(Il la lui donne ; elle la regarde, puis la lui rend.)
MATHILDE
C'est très joli. De quelle couleur est-elle ?
CHAVIGNY (riant.)
De quelle couleur ? La question est excellente.
MATHILDE
Je me trompe… Je veux dire… Qui est-ce qui vous l'a donnée ?
CHAVIGNY
Ah ! c'est trop plaisant, sur mon honneur ! vos distractions sont adorables.
UN DOMESTIQUE (annonçant.)
Madame de Léry !
MATHILDE
J'ai défendu ma porte en bas.
CHAVIGNY
Non, non, qu'elle entre. Pourquoi ne pas la recevoir ?
MATHILDE
Eh bien ! enfin, monsieur, cette bourse, peut-on savoir le nom de l'auteur ?
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