MADAME ARGANTE
Je viens vous chercher, madame, puisque vous ne venez pas. Mais que vois-je ? Éraste soupire ! Ses yeux sont mouillés de larmes ! Il paraît désolé ! Que lui est-il donc arrivé ?
MADAME AMELIN
Rien que de fort heureux, quand il sera raisonnable. Au reste, madame, j'allais vous informer que nous sommes sur notre départ, Araminte, mon neveu et moi. N'auriez-vous rien à mander à Paris ?
MADAME ARGANTE
À Paris ! Quoi ! est-ce que vous y allez, madame ?
MADAME AMELIN
Dans une heure.
MADAME ARGANTE
Vous plaisantez, madame ; et ce mariage ?…
MADAME AMELIN
Je pense que le mieux est de le laisser là. Le dégoût que vous avez marqué pour ce petit divertissement, qui me flattait, m'a fait faire quelques réflexions. Vous êtes trop sérieuse pour moi. J'aime la joie innocente ; elle vous déplaît. Notre projet était de demeurer ensemble ; nous pourrions ne nous pas convenir ; n'allons pas plus loin.
MADAME ARGANTE
Comment ! une comédie de moins romprait un mariage, madame ? Eh ! qu'on la joue, madame ; qu'à cela ne tienne ; et si ce n'est pas assez, qu'on y joigne l'opéra, la foire, les marionnettes, et tout ce qu'il vous plaira, jusqu'aux parades.
MADAME AMELIN
Non ; le parti que je prend vous dispense de cet embarras-là. Nous n'en serons pas moins bonnes amies, s'il vous plaît ; mais je viens de m'engager avec Araminte, et d'arrêter que mon neveu l'épousera.
MADAME ARGANTE
Araminte à votre neveu, madame ! Votre neveu épouser Araminte ! Quoi ! ce jeune homme !….
ARAMINTE
Que voulez-vous ? je suis à marier aussi bien qu'Angélique.
ANGÉLIQUE
(tristement)
Éraste y consent-il ?
ÉRASTE
Vous voyez mon trouble ; je ne sais plus où j'en suis.
ANGÉLIQUE
Est-ce là tout ce que vous répondez ? Emmenez-moi, ma mère, retirons-nous ; tout nous trahit.
ÉRASTE
Moi, vous trahir, Angélique ! moi, qui ne vis que pour vous !
MADAME AMELIN
Y songez-vous, mon neveu, de parler d'amour à une autre, en présence de madame que je vous destine ?
MADAME ARGANTE
Mais en vérité, tout ceci n'est qu'un rêve.
MADAME AMELIN
Nous sommes tous bien éveillés, je pense.
MADAME ARGANTE
Mais, tant pis, madame, tant pis ! Il n'y a qu'un rêve qui puisse rendre ceci pardonnable, absolument qu'un rêve, que la représentation de votre misérable comédie va dissiper. Allons vite, qu'on s'y prépare ! On dit que la pièce est un impromptu ; je veux y jouer moi-même ; qu'on tâche de m'y ménager un rôle. Jouons-y tous, et vous aussi, ma fille.
ANGÉLIQUE
Laissons-les, ma mère ; voilà tout ce qu'il nous reste à faire.
MADAME ARGANTE
Je ne serai pas une grande actrice, je n'en serai que plus réjouissante.
MADAME AMELIN
Vous joueriez à merveille, madame, et votre vivacité en est une preuve ; mais je ferais scrupule d'abaisser votre gravité jusque-là.
MADAME ARGANTE
Que cela ne vous inquiète pas. C'est Merlin qui est l'auteur de la pièce ; je le vois qui passe ; je vais la lui recommander moi-même. Merlin ! Merlin ! approchez.
MADAME AMELIN
Eh ! non, madame, je vous prie.
ÉRASTE
(à Madame Amelin)
Souffrez qu'on la joue, madame ; voulez-vous qu'une comédie décide de mon sort, et que ma vie dépende de deux ou trois dialogues ?
MADAME ARGANTE
Non, non, elle n'en dépendra pas.
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