Les Mêmes, Jean, Daniel
JEAN
(annonçant.)
M. Daniel Savary !…
PERRICHON
(s'épanouissant.)
Ah ! le voilà, ce cher ami !… ce bon Daniel !…
(Il renverse presque le guéridon en courant au-devant de lui.)
DANIEL
(saluant)
Mesdames… Bonjour, Armand !
PERRICHON
(le prenant par la main,)
Venez, que je vous présente à Majorin… (Haut.)
Majorin, je te présente un de mes bons… un de mes meilleurs amis… M. Daniel Savary…
MAJORIN
Savary ? des paquebots ?
DANIEL
(saluant.)
Moi-même.
PERRICHON
Ah ! sans moi, il ne te payerait pas demain ton dividende.
MAJORIN
Pourquoi ?
PERRICHON
Pourquoi ? (Avec fatuité.)
Tout simplement parce que, je l'ai sauvé, mon bon !
MAJORIN
Toi ? (À part.)
Ah çà ! ils ont donc passé tout leur temps à se sauver la vie !
PERRICHON
(racontant.)
Nous étions sur la mer de Glace… Le mont Blanc nous regardait, tranquille et majestueux…
DANIEL
(à part)
Second récit de Théramène !
PERRICHON
Nous suivions, tout pensifs, un sentier abrupt.
HENRIETTE
(qui a ouvert un journal.)
Tiens, papa qui est dans le journal !
PERRICHON
Comment ! je suis dans le journal ?
HENRIETTE
Lis toi-même… là…
(Elle lui donne le journal)
PERRICHON
Vous allez voir que je suis tombé du jury ! (Lisant.)
"On nous écrit de Chamouny…"
TOUS
Tiens !
(Ils se rapprochent.)
PERRICHON
(lisant.)
"Un événement qui aurait pu avoir des suites déplorables vient d'arriver à la mer de Glace… M. Daniel S… a fait un faux pas et a disparu dans une de ces crevasses si redoutées des voyageurs. Un des témoins de cette scène, M. Perrichon qu'il nous permette de le nommer …" (Parlé.)
Comment donc ! si je le permets ! (Lisant.)
"M. Perrichon, notable commerçant de Paris et père de famille, n'écoutant que son courage, et au mépris de sa propre vie, s'est élancé dans le gouffre…" (Parlé.)
C'est vrai ! "Et, après des efforts inouïs, a été assez heureux pour en retirer son compagnon. Un si admirable dévouement n'a été surpassé que par la modestie de M. Perrichon, qui s'est dérobé aux félicitations de la foule émue et attendrie… Les gens de cœur de tous les pays nous sauront gré de leur signaler un pareil trait. "
TOUS
Ah !
DANIEL
(à part)
Trois francs la ligne !
PERRICHON
(relisant lentement la dernière phrase.)
"Les gens de cœur de tous les pays nous sauront gré de leur signaler un pareil trait. " (À Daniel, très-ému.)
Mon ami… mon enfant ! embrassez-moi !
(Ils s'embrassent.)
DANIEL
(à part)
Décidément, j'ai la corde…
PERRICHON
(montrant le journal.)
Certes, je ne suis pas un révolutionnaire, mais, je le proclame hautement, la presse a du bon ! (Mettant le journal dans sa poche et à part.)
J'en ferai acheter dix numéros !
MADAME PERRICHON
Dis donc, mon ami, si nous envoyions au journal le récit de la belle action de M. Armand ?
HENRIETTE
Oh ! oui ! cela ferait un joli pendant !
PERRICHON
(vivement.)
C'est inutile ! je ne peux pas toujours occuper les journaux de ma personnalité…
JEAN
(entrant un papier à la main.)
Monsieur…
PERRICHON
Quoi ?
JEAN
Le concierge vient de me remettre un papier timbré pour vous.
MADAME PERRICHON
Un papier timbré ?
PERRICHON
N'aie donc pas peur ! je ne dois rien à personne… Au contraire, on me doit…
MAJORIN
(à part)
C'est pour moi qu'il dit ça !
PERRICHON
(regardant le papier.)
Une assignation à comparaître devant la sixième chambre pour injures envers un agent de la force publique dans l'exercice de ses fonctions.
TOUS
Ah ! mon Dieu !
PERRICHON
(lisant.)
Vu le procès-verbal dressé au bureau de la douane française par le sieur Machut, sergent douanier…
(Majorin remonte.)
ARMAND
Qu'est-ce que cela signifie ?
PERRICHON
Un douanier qui m'a saisi trois montres… j'ai été trop vif… je l'ai appelé "gabelou ! rebut de l'humanité !…"
MAJORIN
(derrière le guéridon)
C'est très-grave ! très-grave !
PERRICHON
(inquiet)
Quoi ?
MAJORIN
Injures qualifiées envers un agent de la force publique dans l'exercice de ses fonctions.
Eh bien ?
MAJORIN
De quinze jours à trois mois de prison…
TOUS
En prison !…
PERRICHON
Moi ! après cinquante ans d'une vie pure et sans tache… j'irais m'asseoir sur le banc de l'infamie ? Jamais ! jamais !
MAJORIN
(à part)
C'est bien fait ! ça lui apprendra à ne pas acquitter les droits !
PERRICHON
Ah ! mes amis, mon avenir est brisé.
MADAME PERRICHON
Voyons, calme-toi !
HENRIETTE
Papa !
DANIEL
Du courage !
ARMAND
Attendez ! je puis peut-être vous tirer de là.
TOUS
Hein ?
PERRICHON
Vous ! mon ami… mon bon ami !
ARMAND
(allant à lui.)
Je suis lié assez intimement avec un employé supérieur de l'administration des douanes… Je vais le voir… peut-être pourra-t-on décider le douanier à retirer sa plainte.
MAJORIN
Ça me paraît difficile !
ARMAND
Pourquoi ? un moment de vivacité…
PERRICHON
Que je regrette !
ARMAND
Donnez-moi ce papier… j'ai bon espoir… ne vous tourmentez pas, mon brave monsieur Perrichon !
PERRICHON
(ému, lui prenant la main.)
Ah ! Daniel ! (se reprenant)
non, Armand ! tenez, il faut que je vous embrasse !
(Ils s'embrassent.)
HENRIETTE
(à part)
À la bonne heure !
(Elle remonte avec sa mère.)
ARMAND
(bas, à Daniel.)
À mon tour, j'ai la corde !
DANIEL
Parbleu ! (À part.)
Je crois avoir affaire à un rival et je tombe sur un terre-neuve.
MAJORIN
(à Armand.)
Je sors avec vous.
PERRICHON
Tu nous quittes ?
MAJORIN
Oui… (Fièrement.)
Je dîne en ville !
(Il sort avec Armand.)
MADAME PERRICHON
(s'approchant de son mari et bas.)
Eh bien, que penses-tu maintenant de M. Armand ?
PERRICHON
Lui ? c'est-à-dire que c'est un ange ! un ange !
MADAME PERRICHON
Et tu hésites à lui donner ta fille ?
PERRICHON
Non, je n'hésite plus.
MADAME PERRICHON
Enfin, je te retrouve ! Il ne te reste plus qu'à prévenir M. Daniel.
PERRICHON
Oh ! ce pauvre garçon ! tu crois ?
MADAME PERRICHON
Dame, à moins que tu ne veuilles attendre l'envoi des billets de faire-part ?
PERRICHON
Oh non !
MADAME PERRICHON
Je te laisse avec lui… Courage ! (Haut.)
Viens-tu, Henriette ? (Saluant Daniel.)
Monsieur…
(Elle sort par la droite, suivie d'Henriette.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...