Scène VIII


(M.Oronte, Mme Oronte, Angélique, Lisette, La Branche)

M.Oronte
J'aperçois le valet de Damis.

La Branche
Très humble serviteur à Monsieur et à Madame Oronte ; serviteur très humble à Mademoiselle Angélique ; bon jour Lisette.

M.Oronte
Hé bien, La Branche, quelle nouvelle ?

La Branche
Monsieur Damis votre gendre et mon maître vient d'arriver de Chartres. Il marche sur mes pas. J'ai pris les devants pour vous en avertir.

Angélique(bas. )
Ô ciel !

M.Oronte
Je l'attendais avec impatience, mais pourquoi n'est-il pas venu tout droit chez moi ? Dans les termes où nous en sommes, doit-il faire ces façons-là ?

La Branche
Oh, Monsieur, il sait trop bien vivre pour en user si familièrement avec vous, c'est le garçon de France qui a les meilleures manières; quoique je sois son valet, je n'en puis dire que du bien.

Mme Oronte
Est-il poli, est-il sage ?

La Branche
S'il est sage, Madame ? il a été élevé avec la plus brillante jeunesse de Paris, tudieu ! c'est une tête bien sensée.

M.Oronte
Et Monsieur Orgon n'est-il pas avec lui ?

La Branche
Non, Monsieur, de vives atteintes de goutte l'ont empêché de se mettre en chemin.

M.Oronte
Le pauvre bonhomme.

La Branche
Cela l'a pris subitement la veille de notre départ. Voici une lettre qu'il vous écrit. (Il donne une lettre à Monsieur Oronte.)

M.Oronte(lit le dessus.)
A Monsieur Craquet, médecin, dans la rue du Sépulcre.

La Branche(reprenant la lettre.)
Ce n'est point cela Monsieur.

M.Oronte(riant.)
Voilà un médecin qui loge dans le quartier de ses malades.

La Branche(Tire plusieurs lettres, et en lit les adresses.)
J'ai plusieurs lettres que je me suis chargé de rendre à leurs adresses. Voyons celle-ci… (Il lit.)
À Monsieur Bredouillet avocat au parlement rue des Mauvaises Paroles. Ce n'est point encore cela, passons à l'autre… (Il lit.)
A Monsieur Gourmandin, chanoine de… ouais, je ne trouverai point celle que je cherche… (Il lit.)
A Monsieur Oronte… Ah voici la lettre de Monsieur Orgon… (Il la donne.)
Il l'a écrite d'une main si tremblante, que vous n'en reconnaîtrez pas l'écriture.

M.Oronte
En effet elle n'est pas reconnaissable.

La Branche
La goutte est un terrible mal. Le ciel vous en veuille préserver, aussi bien que Madame Oronte, Mademoiselle Angélique, Lisette, et toute la compagnie.

M.Oronte(lit…)
Je me disposais à partir avec Damis ; mais la goutte m'en a empêché. Néanmoins comme ma présence n'est point absolument nécessaire à Paris, je n'ai pas voulu que mon indisposition retardât un mariage qui fait ma plus chère envie, et toute la consolation de ma vieillesse. Je vous envoie mon fils, servez-lui de père comme à votre fille. Je trouverai bon tout ce que vous ferez. De Chartres, Votre affectionné serviteur, Orgon.
Que je le plains !… Mais qui est ce jeune homme qui s'avance ? Ne serait-ce point Damis ?

La Branche
C'est lui-même ; qu'en dites-vous, Madame ? N'a-t-il pas un air qui prévient en sa faveur ?


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