(LA BARONNE LE CHEVALIER, MARINE,FRONTIN.)
LE CHEVALIER (, à la baronne.)
Je viens, madame, vous témoigner ma reconnoissance. Sans vous j'aurois violé la foi des joueurs : ma parole perdoit tout son crédit , et je tombois dans le mépris des honnêtes gens.
LA BARONNE
Je suis bien aise, chevalier, de vous avoir fait ce plaisir
LE CHEVALIER
Ah ! qu'il est doux de voir sauver son honneur par l'objet même de son amour !
MARINE (, à part.)
Qu'il est tendre et passionné. Le moyen de lui refuser quelque chose !
LE CHEVALIER
Bonjour, Marine. ( A la baronne, avec ironie. )
Madame, j'ai aussi quelques grâces à lui rendre. Frontin m'a dit qu'elle s'est intéressée à ma douleur.
MARINE
Eh ! oui, merci de ma vie, je m'y suis intéressée ; elle nous coûte assez pour cela.
LA BARONNE
Taisez-vous , Marine. Vous avez des vivacités ! comptes, qui ne me plaisent pas.
LE CHEVALIER
Eh ! madame, laissez-la parler ; j'aime les gens francs et sincères.
MARINE
Et moi, je hais ceux qui ne le sont pas.
LE CHEVALIER (à la baronne, ironiquement.)
Elle est toute spirituelle dans ses mauvaises humeurs ; elle a des reparties brillantes qui m'enlèvent. … (A Marine, ironiquement.)
Marine, au moins, j'ai pour vous ce qui s'appelle une véritable amitié ; et je veux vous en donner des marques… ( fait semblant de fouiller dans ses poches. A Frontin ironiquement.)
Frontin, la première fois que je gagnerai, fais m'en ressouvenir.
FRONTIN (, ironiquement.)
C'est de l'argent comptant.
MARINE
J'ai bien affaire de son argent… Eh I qu'il M vienne pas ici piller le nôtre.
LA BARONNE
Prenez garde à ce que vous dites. Marine.
MARINE
C'est voler au coin d'un bois.
LA BARONNE
Vous perdez le respect.
LE CHEVALIER
Ne prenez point la chose sérieusement!
MARINE (à la baronne.)
Je ne puis me contraindre , madame ; je ne puis voir tranquillement que vous soyez la dupe de monsieur, et que M. Turcaret soit la vôtre.
LA BARONNE
Marine !…
MARINE (, l'interrompant.)
Eh ! fi , fi , madame , c'est se moquer de recevoir d'une main pour dissiper de l'autre ; la belle conduite ! Nous en aurons toute la honte, et M. le chevalier tout le profit.
LA BARONNE
Oh ! pour cela, vous êtes trop insolente ; je n'y puis plus tenir.
MARINE
Ni moi non plus.
LA BARONNE
Je vous chasserai
MARINE
Vous n'aurez pas cette peine-là, madame. Je me donne mon congé moi-même ; je ne veux pas que l'on dise dans le monde que je suis infructueusement complice de la ruine d'un financier,
LA BARONNE
Retirez - vous , impudente, et ne paroissez jamais devant moi que pour me rendre vos comptes.
MARINE
Je les rendrai à M. Turcaret, madame ; et, s'il est assez sage pour m'en croire , vous compterai aussi tous deux ensemble. (Elle sort)
La pièce "Crispin rival de son maître", écrite par Alain-René Lesage et jouée pour la première fois en 1707, est une comédie en un acte et en prose. Elle met...