(LA BARONNE MARINE.)
LA BARONNE
Tu vas te déchaîner contre moi. Marine, l'emporter ?
MARINE
Non, madame, je ne m'en donnerai pas la peine, je vous assure. Eh ! que m'importe, après tout, que votre bien s'en aille comme il vient ? Ce sont vos affaires, madame, ce sont vos affaires.
LA BARONNE
Hélas ! je suis plus à plaindre qu'à blâmer ; ce que tu me vois faire n'est point l'effet d'une volonté libre : je suis entraînée par un penchant si tendre, que je ne puis y résister.
MARINE
Un penchant tendre ? Ces foiblesses vous conviennent-elles ? Eh ! fi ! vous aimez comme une vieille bourgeoise.
LA BARONNE
Que tu es injuste, Marine I puis-je ne pas savoir gré au chevalier du sacrifice qu'il méfait ?
MARINE
Le plaisant sacrifice!… Que vous êtes facile i tromper! Mort de ma vie! c'est quelque vieux portrait de famille; que sait-on? de sa grand'mère, peut-être.
LA BARONNE (regardant le portrait.)
Non, j'ai quelque idée de ce visage-là, et une idée récente.
MARINE (prenant le portrait et l'examinant à son tour.)
Attendez… Ah ! justement, c'est ce colosse de provinciale que nous vîmes au bal il y a trois jours, qui se fit tant prier pour ôter son masque, et que personne ne connut quand elle fut démasquée.
LA BARONNE
Tu as raison. Marine… Cette comtesse-là n'est pas mal faite.
MARINE (rendant le portrait à la baronne.)
À peu près comme M. Turcaret. Mais, si la comtesse étoit femme d'affaires, on ne vous sacrifieroit pas, sur ma parole.
LA BARONNE (voyant paroitre Flamand.)
Tais-toi. Marine; j'aperçois le laquais de M. Turcaret.
MARINE
Oh ! pour celui-ci, passe : il ne nous apporte que de bonnes nouvelles… (Regardant venir Flamand, et le voyant chargé d'un petit coffre.)
Il tient quelque chose ; c'est sans doute un nouveau présent que son maître vous fait.
La pièce "Crispin rival de son maître", écrite par Alain-René Lesage et jouée pour la première fois en 1707, est une comédie en un acte et en prose. Elle met...