(LE MARQUIS, LA COMTESSE.)
LE MARQUIS
Vous faites des emplettes ?
LA COMTESSE
Oui, pour cet hiver.
LE MARQUIS
Vous aimez beaucoup le monde, madame.
LA COMTESSE
Sans doute, je ne connais que cela. Vous savez comme mon mari m'a rendue malheureuse pendant trois ans qu'il m'a tenue enfermée avec lui, dans une de ses terres.
LE MARQUIS
Dans une de ses terres ?
LA COMTESSE
Oui, vraiment, excepté ce voyage que nous avons fait sur les bords du Rhin.
LE MARQUIS
Sur les bords du Rhin ?
LA COMTESSE
Oui.
LE MARQUIS
Est-ce un beau pays ?
LA COMTESSE
Je ne peux pas trop vous dire, je ne m'y connais pas. On se donne beaucoup de fatigue pour visiter toutes sortes d'endroits, et je ne vois pas la différence. C'est une faculté qui m'est refusée. On me montre des châteaux, des bois, des rivières, des églises surtout… Ah, Dieu ! les églises, les églises gothiques, il y fait un froid ! c'est un rhume de tous les jours. Je me souviens encore de mes réveils, quand j'étais le matin dans un lit bien chaud, brisée par un voyage en poste, et que M. de Vernon entrait dans ma chambre avec la perspective d'une cathédrale !
LE MARQUIS
Oui, cela doit être fort pénible.
LA COMTESSE
À se faire Turc pour rester chez soi. Et notez bien que ce n'était pas assez d'essuyer des caveaux humides, de se tordre le cou pour voir des rosaces. Le triomphe de mon mari était de monter dans les flèches, et l'on me hissait après lui. Connaissez-vous ce travail-là ? On grimpe en rond autour d'un pilier, dans une tourelle qui vous suffoque, et l'on s'en va montant et tournant toujours, comme avec un tire-bouchon dans la tête, jusqu'à ce que le mal de mer vous prenne, et qu'on ferme les yeux pour ne pas tomber. C'est alors que votre cornac tire de sa poche une lorgnette pour vous faire admirer le pays. Voilà comme j'ai vu l'Allemagne.
LE MARQUIS
C'est pourtant cette route-là, sans doute, que nous allons prendre avec le baron.
LA COMTESSE
Est-ce qu'il est ici, le baron ?
LE MARQUIS
Oui, madame, il vient d'arriver. Il est venu de Paris ce matin, par ce grand orage ; — c'est là ce qui a dérangé le temps, sûrement.
LA COMTESSE(riant.)
L'arrivée du baron ! ah ! vous êtes délicieux !
LE MARQUIS
Comment ! ne parliez-vous pas de lui ?
LA COMTESSE(riant.)
Si fait, si fait, c'est à merveille.
LE MARQUIS
Je le croyais. Je me trompe quelquefois, et c'est insupportable.
LA COMTESSE
Non, non. — Je vous trouve charmant comme cela.
(Elle cherche quelque chose.)
LE MARQUIS
Qu'est-ce que vous voulez ? Du tabac ? j'en ai de fort bon.(Il ouvre sa tabatière.)
Ah ! j'oubliais bien !
LA COMTESSE
Quoi ?
LE MARQUIS
Vous voyez ce papier-là. Devinez.
LA COMTESSE
Je ne sais pas deviner, dites-moi tout de suite.
LE MARQUIS
C'est que si vous voulez vous remarier…
LA COMTESSE(cherchant sur son piano.)
Eh bien ?
LE MARQUIS
Qu'est-ce que vous cherchez encore ?
LA COMTESSE(cherchant.)
Parlez, parlez toujours.
LE MARQUIS
Vous seriez la plus heureuse femme du monde avec moi.
LA COMTESSE(cherchant toujours.)
Avec vous ?
LE MARQUIS
Oh ! sûrement.
LA COMTESSE
Je ne le trouve pas ; c'est inconcevable.
LE MARQUIS
Qu'est-ce que vous cherchez donc là ?
LA COMTESSE
Un papier que j'avais tout à l'heure.
LE MARQUIS
Est-ce une chose de conséquence ?
LA COMTESSE
Oui et non, c'est une chanson.
LE MARQUIS
J'en ai un recueil ; si vous voulez, je vous le prêterai. Il est très complet depuis 1650.
LA COMTESSE
C'était une chanson nouvelle.
LE MARQUIS
Il y en a beaucoup dedans.
LA COMTESSE
Des chansons nouvelles ?
LE MARQUIS
Oui, pour ce temps-là.
LA COMTESSE(riant.)
De 1650 ! ah ! ah ! ah ! vous êtes toujours le même.
LE MARQUIS
Oui, je suis constant. Cela ne réussit pas toujours, comme vous savez, avec les femmes.
LA COMTESSE
Est-ce que vous avez à vous plaindre des femmes ?
LE MARQUIS
Ah ! si vous vouliez être la mienne !… Voici une visite.
LA COMTESSE
Eh ! c'est votre domestique.
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