Scène IX


(LA COMTESSE, LE MARQUIS.)

LA COMTESSE
Vous n'aimez pas ce pou-de-soie rose ?

LE MARQUIS(un livre à la main.)
Non, ce n'est pas ce que je choisirais.(lisant.)
Fanny, l'heureux mortel qui près de toi respire…

LA COMTESSE
Vous voilà bien content. Avec votre livre en main, vous êtes bien sûr de votre mémoire.

LE MARQUIS
Oh, mon Dieu ! je n'avais que faire du livre, et cela me serait revenu tout de suite.(Lisant.)
Fanny, l'heureux mortel qui près de toi respire Sait, à te voir parler, et rougir, et sourire, De quels hôtes divins le ciel est habité.

LA COMTESSE
Vous y mettez une expression !…

LE MARQUIS
Il n'est pas difficile, madame, d'exprimer ce qu'on sent du fond du cœur, et ces vers ne semblent- ils pas faits tout exprès pour qu'on vous les dise ? Fanny, l'heureux mortel…

LA COMTESSE
Vous vous divertissez, je crois.

LE MARQUIS
Non, je vous le jure sur mon âme, et par tout ce qu'il y a de plus sacré au monde, je… je trouve ces vers-là charmants.

LA COMTESSE
Eh bien ! venez les chanter, je vous accompagnerai.
(Elle s'assied au piano.)

LE MARQUIS
Vous verrez que je me passerai de livre… À quoi pensez-vous donc, madame ?

LA COMTESSE
À ce pou-de-soie rose. Vous ne l'aimez pas ?

LE MARQUIS
Non, j'aime mieux ce taffetas feuille-morte.

LA COMTESSE
C'est une étoffe trop âgée.

LE MARQUIS
Elle m'a paru toute neuve.

LA COMTESSE
Laissez donc ! Il y a de ces choses qui sont toujours de l'an passé.

LE MARQUIS
Que c'est bien femme, ce que vous dites là !

LA COMTESSE
Comment, bien femme ? Que voulez-vous dire ?

LE MARQUIS
Eh ! mon Dieu, oui. Toujours du nouveau, — voilà ce qu'il vous faut, à vous autres.

LA COMTESSE
À vous autres ! Vous êtes poli.

LE MARQUIS
Hors le moment présent, vous ne connaissez rien. Vous ne vous souciez plus des choses de la veille, et celles du lendemain, vous n'y songez pas. Je vous réponds bien que, si j'étais marié, ma femme n'aurait pas tant de fantaisies.

LA COMTESSE
Vous lui feriez porter une robe feuille-morte ?

LE MARQUIS
Feuille-morte, soit, si c'était mon goût.

LA COMTESSE
Elle s'en moquerait, et ne la porterait pas.

LE MARQUIS
Elle la porterait toute sa vie, madame, si elle m'aimait véritablement.

LA COMTESSE
Eh bien ! à ce compte-là, vous resterez garçon.

LE MARQUIS
Parlez-vous sérieusement, madame ?

LA COMTESSE
Oui, je vous conseille de renoncer à trouver une victime de bonne volonté.

LE MARQUIS
Ô ciel ! mais c'est ma mort que vous m'annoncez là !

LA COMTESSE
Comment, votre mort ?

LE MARQUIS
Assurément. Je ne suis pas comme vous, moi, madame. Il ne faut pas me dire deux fois les choses. Oh ! je craignais cette cruelle parole, mais, en la prévoyant, je ne l'entendais pas. Elle me désespère, elle m'accable… au nom du ciel ! ne la répétez pas.

LA COMTESSE
Mais, bon Dieu ! quelle mouche vous pique ?

LE MARQUIS
Croyez-vous donc que je puisse rester au monde loin de vous, loin de tout ce qui m'est cher ? La vie me serait insupportable. Riez-en, madame, tant qu'il vous plaira. Je sais bien que vous me direz qu'un voyage à la hâte est toujours fâcheux ; que, si j'ai mes projets, vous avez les vôtres ; que sais-je ? — Vous trouverez cent raisons, cent obstacles,… mais en est-il un seul, en voit-on quand on aime ? Est-ce votre procès qui vous retient ? mais je vous ai dit qu'il était gagné. Je suis allé vingt fois chez votre avoué. Il demeure un peu loin, mais qu'importe ? Ce n'est pas là ce qui vous occupe ; — non, madame, vous ne m'aimez pas.

LA COMTESSE
Je vous demande bien pardon ; mais quel galimatias me faites-vous là ?

LE MARQUIS
Je ne dis que l'exacte vérité ; mais, puisque vous ne voulez pas l'entendre, je me retire. Adieu, madame.

LA COMTESSE
Savez-vous une chose, marquis ? c'est que les distractions ne plaisent qu'à la condition d'être plaisantes. Quand vous prenez le chapeau du voisin, ou quand vous appelez le curé "mademoiselle", personne ne songe à s'en fâcher ; mais il ne faut pas que cela vous encourage jusqu'à perdre tout à fait le sens, et à parler, pour une robe feuille-morte, comme un homme qui va se noyer ; car vous comprenez que, dans ce cas-là, notre part à nous, qui vous voyons faire, ce n'est plus de la gaieté, c'est de la patience, et il n'est jamais bon d'avoir affaire à elle ; c'est l'ennemie mortelle des femmes.

LE MARQUIS
Cela veut dire que je vous importune. Raison de plus pour m'éloigner de vous.

LA COMTESSE
En vérité, vous perdez l'esprit.

LE MARQUIS
De mieux en mieux. — Que je suis malheureux !

LA COMTESSE
Vous ne soupez pas avec moi ?

LE MARQUIS
Non, je m'en vais. — Adieu, madame.
(Il s'assied dans un coin.)

LA COMTESSE
Ma foi, faites ce que vous voudrez, vous êtes intolérable et incompréhensible. Tenez, laissez-moi à ma musique. Qu'est-ce que c'est que cela ?
(Elle se retourne vers le piano, et lit tout bas ce qu'il y a sur la romance.)

LE MARQUIS(assis.)
Elle que j'aimais si tendrement ! faut-il que j'aie pu lui déplaire ! qu'ai-je donc fait qui l'ait offensée ? Quoi ! je viens ici, le cœur tout plein d'elle, mettre à ses pieds ma vie entière ; je lui fais en toute confiance l'aveu sincère de mon amour ; je lui demande sa main le plus clairement et le plus honnêtement du monde, et elle me repousse avec cette dureté ! C'est une chose inconcevable ; plus j'y réfléchis, moins je le comprends.(Il se lève et se promène à grands pas sans voir la comtesse.)
Il faut sans doute que j'aie commis à mon insu quelque faute impardonnable.

LA COMTESSE(lui présentant le papier quand il passe devant elle.)
Tenez, Valberg, lisez donc cela.

LE MARQUIS(de même.)
Impardonnable ? ce n'est pas possible. Quand je la reverrai, elle me pardonnera. Allons, Germain, je veux sortir. Oui, sans doute, il faut que je la revoie. Elle est si bonne, si indulgente ! et si gracieuse et si belle ! pas une femme ne lui est comparable.

LA COMTESSE(à part.)
Je laisse passer cette distraction-là.

LE MARQUIS(de même.)
Il est bien vrai qu'elle est coquette en diable, et paresseuse… à faire pitié ! Son étourderie continuelle…

LA COMTESSE(présentant le papier.)
Le portrait se gâte… Monsieur de Valberg !

LE MARQUIS(de même.)
Son étourderie continuelle pourrait-elle véritablement convenir à un homme raisonnable ? Aurait- elle ce calme, cette présence d'esprit, cette égalité de caractère nécessaires dans un ménage ? — J'aurais fort à faire avec cette femme-là.

LA COMTESSE
Ceci mérite d'être écouté.

LE MARQUIS
Mais elle est si bonne musicienne ! — Germain ! — Ah ! que nous serions heureux, seuls, dans quelque retraite paisible, avec quelques amis, avec tout ce qu'elle aime, car je serais sûr de l'aimer aussi.

LA COMTESSE
À la bonne heure.

LE MARQUIS
Mais non, elle aime le monde, les fêtes ! — Germain ! — Eh bien ! Je ne serais pas jaloux. Qui pourrait l'être d'une pareille femme ? — Germain ! — Je la laisserais faire ; j'aimerais pour elle ces plaisirs qui m'ennuient ; je mettrais mon orgueil à la voir admirée ; je me fierais à elle comme à moi-même, et si jamais elle me trahissait… — Germain ! — je lui plongerais un poignard dans le cœur.

LA COMTESSE(lui prenant la main.)
Oh ! que non, monsieur de Valberg.

LE MARQUIS
C'est vous, comtesse ! grand Dieu ! je ne croyais pas…

LA COMTESSE
Avant de me tuer, lisez cela.

LE MARQUIS
Qu'est-ce que c'est donc ?(Il lit :)
"Monsieur le marquis est prié de vouloir bien se souvenir d'épouser madame la comtesse avant de partir pour l'Allemagne." Eh bien ! madame, vous voyez bien que c'était moi, et non pas vous, qui avais parlé de ce voyage- là.

LA COMTESSE
Mais c'est donc réel, ce départ ?

LE MARQUIS
Vous le demandez ! voilà deux heures que je me tue à vous le répéter.

LA COMTESSE
Vous aurez pris ma femme de chambre pour moi, car ces trois lignes sont de son écriture.

LE MARQUIS
Vraiment ? elle n'écrit pas trop mal.

LA COMTESSE
Non, mais elle écrit des impertinences.

LE MARQUIS
Point du tout, c'était ma pensée.

LA COMTESSE
Mais qu'allez-vous faire en Allemagne ?

LE MARQUIS
Des compliments, de la part du roi, à la grande-duchesse.

LA COMTESSE
Et quand partez-vous ?

LE MARQUIS
Demain matin.

LA COMTESSE
Vous vouliez donc m'épouser en poste ?

LE MARQUIS
Justement, je voulais vous emmener. Ce serait le plus délicieux voyage !

LA COMTESSE
Un enlèvement ?

LE MARQUIS
Oui, dans les formes.

LA COMTESSE
Elles seraient jolies.

LE MARQUIS
Certainement, nous publierions nos bans…

LA COMTESSE
À chaque relais, n'est-il pas vrai ? Et les témoins ?

LE MARQUIS
Nous avons mon oncle.

LA COMTESSE
Et nos parents ?

LE MARQUIS
Ils ne demandent pas mieux.

LA COMTESSE
Et le monde ?

LE MARQUIS
Que pourrait-on dire ? Nous sommes d'honnêtes gens, je suppose. Parce que nous montons dans une chaise de poste, on ne va pas nous prendre tout à coup pour des banqueroutiers.

LA COMTESSE
Votre projet est si absurde, si extravagant, qu'il m'amuse.

LE MARQUIS
Suivons-le, il sera tout simple.

LA COMTESSE
J'en suis presque tentée.

LE MARQUIS
J'en suis enchanté. Holà ! Germain !
(Entre Germain.)

GERMAIN
Vous avez appelé, monsieur ?(À part.)
Je crois que le danger est passé.

LE MARQUIS
Va vite chercher cette grande malle, qui est là-bas au milieu de la chambre, et apporte-la tout de suite.

GERMAIN
Ici, monsieur ?

LE MARQUIS
Oui ; dépêche-toi.
(Germain sort.)

LA COMTESSE(riant.)
Ah, mon Dieu ! mais quelle folie ! vous envoyez prendre votre malle ?

LE MARQUIS
Oui, il faut faire nos paquets sur-le-champ, parce que, voyez-vous, quand on a une bonne idée, il faut s'y tenir ; je ne connais que cela.

LA COMTESSE
Un instant, marquis ; avant de s'embarquer, bride abattue, pour les Grandes-Indes, il faut prendre son passe-port. Êtes-vous bien-sûr que je sois douée de toutes les qualités requises pour faire convenablement votre ménage dans quelqu'un de ces grands châteaux que vous possédez en Espagne ?

LE MARQUIS
En Espagne ? Je ne vous comprends pas.

LA COMTESSE
Ai-je bien ce calme, cette présence d'esprit, cette égalité de caractère, si nécessaires dans une maison, surtout quand le maître en donne l'exemple ?

LE MARQUIS
Vous vous moquez. Est-il donc besoin que je vous répète ce que sait tout le monde, qu'on voit en vous toutes les qualités, comme tous les talents et toutes les grâces ?

LA COMTESSE
Mais vous oubliez que je suis coquette, paresseuse à faire pitié, et étourdie, surtout étourdie…

LE MARQUIS
Qui a jamais dit cela, madame ?

LA COMTESSE
Un de mes amis.

LE MARQUIS
Un impertinent.

LA COMTESSE
Pas toujours. C'est un original qui fait des portraits devant son miroir et qui les peint à son image. Devinez-le. C'est un diplomate qui est assez bon musicien ; un poète connaisseur en étoffes ; un chasseur très dangereux pour la haie du voisin, très redoutable au whist pour son partenaire ; un homme d'esprit qui dit des bêtises ; un fort galant homme qui en fait quelquefois ; enfin, c'est un amant plein de délicatesse qui, pour gagner le cœur d'une femme, lui adresse des compliments par usage, et des injures par distraction.

LE MARQUIS
Si j'ai commis celle-là, madame, ce sera la dernière de ma vie, et vous verrez si dans ce voyage…

LA COMTESSE
Mais ce voyage, est-ce que j'y consens ?

LE MARQUIS
Vous avez dit oui.

LA COMTESSE
J'ai dit presque oui. Entre ces deux mots-là il y a tout un monde.

LE MARQUIS
Consentez donc, madame, et ce portrait que vous venez de faire, ce portrait ne sera plus le mien. Oui, s'il est ressemblant aujourd'hui, c'est grâce à vous, je le proteste. C'est le doute, la crainte, l'espérance, l'inquiétude où j'étais sans cesse, qui m'empêchaient de voir et d'entendre, de comprendre ce qui n'était pas vous. Ne me faites pas l'injure de croire que j'aurais perdu la raison si je vous avais moins aimée ; je l'avais laissée dans vos yeux ; il ne vous faut qu'un mot pour me la rendre.

LA COMTESSE
Ce que vous dites là me donne une idée plaisante, c'est qu'il pourrait se faire que, sans nous en douter, nous nous fussions volé notre raison l'un à l'autre. Vous êtes distrait, dites-vous, pour l'amour de moi ; peut-être suis-je étourdie par amitié pour vous. Dites donc, marquis, si nous essayions de réparer mutuellement le dommage que nous nous sommes fait ? Puisque j'ai pris votre bon sens et vous le mien, si nous nous conduisions tous deux d'après nos conseils réciproques ? Ce serait peut-être un moyen excellent de parvenir à une grande sagesse.

LE MARQUIS
Je ne demande pas mieux que de vous obéir

LA COMTESSE
Il ne s'agit pas de cela, mais d'un simple échange. Par exemple, je suis paresseuse, vous me l'avez dit…

LE MARQUIS
Mais, madame…

LA COMTESSE
Vous me l'avez dit, et j'en conviens. Vous, au contraire, vous remuez toujours ; vous revenez de la chasse quand je me lève ; vous avez sans cesse les doigts tachés d'encre, et c'est pour moi un chagrin d'écrire. Pour la lecture, c'est tout de même ; vous dévorez jusqu'à des tragédies avec un appétit féroce, pendant que je dors à leur doux murmure. Dans le monde, vous ne savez que faire, à moins que ce ne soit, comme M. de Brancas, d'accrocher votre perruque à un lustre ; vous ne dites mot, ou vous parlez tout seul, sans vous soucier de ce qui vous entoure ; moi, je l'avoue, j'aime la causerie, j'irais volontiers jusqu'au bavardage si tant de gens ne s'en mêlaient pas, et pendant que vous êtes dans un coin, boudant d'un air sauvage, le bruit m'amuse, m'entraîne, un bal m'éblouit. Est-ce qu'avec toutes ces disparates on ne pourrait pas faire un tableau ? Trouvons un cadre où nous pourrions mettre, vous, votre feuille morte, moi, ma couleur de rose, nos qualités par-dessus nos défauts ; où nous serions, à tour de rôle, tantôt le chien, tantôt l'aveugle. Ne serait- ce pas un bel exemple à donner au monde, qu'un homme ayant assez d'amour pour renoncer à dire : Je veux, et une femme, sacrifiant plus encore, le plaisir de dire : Si je voulais ?

LE MARQUIS
Vous me ravissez, vous me transportez. Ah ! madame, si vous me jugiez digne de vous confier ma vie entière, je mourrais de joie à vos pieds.

LA COMTESSE
Non pas ; où seraient mes profits ?
(Entre Germain avec la malle.)

GERMAIN(entrant)
Voilà votre malle, monsieur le marquis.

LE MARQUIS
Et mon oncle ?

GERMAIN
Il n'est pas revenu de chez M. Duplessis.

LE MARQUIS
Eh bien ! madame ?

LA COMTESSE
Eh bien !… essayons.

LE MARQUIS
Vite, Germain, François, Victoire, apportez tout ce qu'il y a ici

LA COMTESSE
C'est là votre manière de me remercier ?

LE MARQUIS
Hé ! madame, j'aurai bien le temps.

LA COMTESSE
Comment, bien le temps ? c'est honnête.

LE MARQUIS
Certainement, puisqu'à compter de ce jour je ne veux plus faire autre chose pendant tout le reste de ma vie.
(Entre Victoire.)

VICTOIRE
Madame a besoin de moi ?

LA COMTESSE
C'est donc vous, mademoiselle Victoire, qui vous êtes permis tantôt…

LE MARQUIS
Ne la grondez pas. Si j'avais maintenant le diamant de Buckingham, au lieu de le jeter par la fenêtre, je le lui mettrais dans sa poche.
(Il y met une bourse.)

LA COMTESSE
Est-ce là cet homme si raisonnable !

LE MARQUIS
Ah ! madame, grâce pour aujourd'hui. Plaçons d'abord ici toute votre musique.

LA COMTESSE
Voilà un bon commencement.

LE MARQUIS(arrangeant la musique.)
On l'aime beaucoup en Allemagne. Nous trouverons des connaisseurs là-bas. Je me fais une fête de vous voir chanter devant eux.(Il chante.)
Fanny, l'heureux mortel… Ils vous adoreront, ces braves gens. — Germain !

GERMAIN
Monsieur ?

LE MARQUIS
Va me chercher mon violon.
(Germain sort.)

LA COMTESSE
N'oubliez pas cette romance, au moins.

LE MARQUIS
Elle me rappellera le plus beau jour de ma vie.

LA COMTESSE
Et ma robe feuille-morte ? Victoire !

VICTOIRE
Oui, madame.
(Elle apporte la robe, Germain le violon un peu plus tard.)

LE MARQUIS
Vous voulez la prendre ?

LA COMTESSE
Puisque c'est une de vos conditions.

LE MARQUIS
Ah ! grand Dieu ! elle est cause que j'ai pu vous déplaire ! Apportez-en d'autres, mademoiselle.
(Il la jette sur un meuble.)

LA COMTESSE
Savez-vous ce qu'il faut faire ? Emportons très peu de choses, rien que le plus important ; nous ferons toutes sortes d'emplettes dans le pays.

LE MARQUIS
C'est cela même. — Germain !

GERMAIN
Monsieur ?

LE MARQUIS
Mon fusil et mon cor de chasse ; oui, nous achèterons le reste à Gotha.

LA COMTESSE
Comment, à Gotha ?

LE MARQUIS
Eh ! oui, c'est là que nous allons.

LA COMTESSE
Ah ! tenez, prenez ce petit coffre.

LE MARQUIS
Qu'y a-t-il dedans, des papiers de famille ?(Regardant.)
Non, c'est du thé ; mais on en trouve partout.

LA COMTESSE
Oh ! je ne peux pas en prendre d'autre.

LE MARQUIS
Que d'heureux jours nous allons passer !

LA COMTESSE
Nous achèterons là-bas des costumes allemands ; ce sera ravissant pour un bal masqué.

LE MARQUIS
Madame, si nous prenions mon cadran solaire ? Il va très bien.

LA COMTESSE
Êtes-vous fou, Valberg ? et vos belles promesses ?

LE MARQUIS
Vous avez raison ; ma montre suffit.
(Il la met dans la malle.)

LA COMTESSE
Songez qu'il faut veiller sur vous, maintenant que vous voila diplomate.

LE MARQUIS
Oh ! ne craignez rien, j'ai fait mes preuves.(Il prend divers objets au hasard dans la chambre et les met dans la malle. Tout en parlant, il y metaussi son portefeuille, ses gants, son mouchoir et son chapeau.)
J'ai déjà été en Danemark et je m'en suis très bien tiré. Mon oncle, qui se croit un génie, voulait me faire la leçon, mais il n'a pas la tête parfaitement saine ; entre nous, il radote un peu !
(Fermant la malle.)

LA COMTESSE
Le voici.


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