FOURCHEVIF, LAMBERT; puis TRONQUOY.
FOURCHEVIF
Eh bien, vous venez de faire votre promenade dans le parc?
LAMBERT
Oui.
FOURCHEVIF
J'espère que c'est… ratissé…
LAMBERT
Je suis arrivé juste à temps pour empêcher un sacrilège.
FOURCHEVIF
Quoi donc?
LAMBERT
Des hommes armés de cognées allaient abattre les grands arbres de la futaie.
FOURCHEVIF
Ah oui!… ils sont vendus!
LAMBERT
Non, vous ne pouvez pas vendre ces arbres-là!
FOURCHEVIF
Pourquoi?
LAMBERT
C'est là que dame Aloyse rencontra pour la première fois Gontran de Fourchevif, le chef de notre famille…
FOURCHEVIF
Ça… ça m'est bien égal.
LAMBERT
Ce sont des arbres historiques… et ceux-là, on ne les coupe jamais!
FOURCHEVIF
Mais mon marchand de bois…
LAMBERT
Je viens d'arrêter les travaux…
FOURCHEVIF
Cependant…
LAMBERT
Il le faut!
FOURCHEVIF
Bien! bien!
LAMBERT (à part.)
J'en ai commencé une étude, ça me permettra de la finir!
FOURCHEVIF (à part.)
Il est un peu exigeant!
LAMBERT
J'ai encore à vous parler de notre mausolée… Il est dans un état déplorable… il croule…
FOURCHEVIF
Des ruines dans le feuillage, ça fait très bien.
LAMBERT
Il faudra le faire reconstruire…
FOURCHEVIF
Oui, mon ami… (A part.)
Quelques milles de briques!…
LAMBERT
En marbre…
FOURCHEVIF
Ah!
LAMBERT
Je vous en ferai le dessin… Deux lions pleurant sur une urne.
FOURCHEVIF (à part.)
—Avec ça que c'est bon marché, des lions qui pleurent sur des urnes! (Haut.)
Mon ami, permettez-moi une observation… Des lions qui pleurent… ça me semble un peu… Moi, je crois que deux chiens… deux gros chiens en porcelaine…
LAMBERT
Non! non!… Deux lions en marbre.
FOURCHEVIF (à part.)
Ah! mais il devient très ennuyeux! (TRONQUOY entre. Il a remis sa livrée et porte une lettre sur un plat d'argent.)
TRONQUOY (solennellement.)
C'est une lettre de la part de M. le comte de la Brossinière…
FOURCHEVIF (regardant le plat avec étonnement, et bas à TRONQUOY.)
Tiens, pourquoi ce plat?
TRONQUOY (bas.)
C'est par ordre de madame la baronne.
FOURCHEVIF (bas.)
C'est bien… Mais ne laisse pas traîner mon argenterie. (TRONQUOY sort. A part.)
A-t-on jamais vu mettre des lettres sur le plat! (Haut à LAMBERT.)
Le comte de la Brossinière est un voisin… un de mes électeurs les plus influents.
LAMBERT (regardant le cachet de la lettre.)
Oh! oh! voici qui est grave!
FOURCHEVIF
Quoi donc?
LAMBERT
Regardez ce cachet… Trois lions de gueules accostés de six merlettes engrelées de sable.
FOURCHEVIF
Eh bien?
LAMBERT
Mais ce sont vos armes! C'est l'écusson des Fourchevif! M. de la Brossinière a usurpé votre blason!
FOURCHEVIF (tranquillement.)
Tiens! tiens! tiens!
LAMBERT
Et vous ne frémissez pas? vous ne bondissez pas?
FOURCHEVIF
Oh! pour des merlettes… entre voisins !
LAMBERT (allant à la table.)
Nous allons répondre à ce petit monsieur… Écrivez.
FOURCHEVIF
Moi?
LAMBERT
Oui… mettez-vous là.
FOURCHEVIF (s'asseyant à la table.)
De la modération, je vous en prie… C'est un de mes électeurs les plus…
LAMBERT (dictant.)
"Monsieur le comte… vous avez pris mes merlettes… Grattez-les!"
FOURCHEVIF (écrivant.)
"Grattez-les!" C'est bien raide!
LAMBERT
Signez!
FOURCHEVIF
C'est égal… elle est un peu sèche, ma… votre lettre.
LAMBERT (mettant la lettre sous enveloppe.)
Je l'espère bien!… Vous voilà probablement avec une affaire sur les bras, mais l'honneur est sauf!
FOURCHEVIF
Une affaire? quelle affaire!
LAMBERT
Ces petits nobliaux sont susceptibles… je les connais… Il est présumable que M. de la Brossinière ne grattera pas… et qu'il vous enverra ses témoins.
FOURCHEVIF (se levant.)
Un duel? mais je ne me bats pas, moi!
LAMBERT
Vous y serez forcé!… Il vous insultera!
FOURCHEVIF
S'il m'insulte, je déposerai ma plainte entre les mains du procureur impérial!
LAMBERT
Un procès! quand vous avez une épée!
FOURCHEVIF
Une épée! Où diable voyez-vous une épée?
LAMBERT
Celle des Fourchevif !
FOURCHEVIF
Je n'ai pas acheté meublé!
LAMBERT
Vous vous battrez!
FOURCHEVIF
Je ne me battrai pas! Plutôt mourir!
LAMBERT (froidement.)
Soit, monsieur… mais vous trouverez bon que je reprenne un nom que vous ne savez pas porter.
FOURCHEVIF
Un instant, mon ami!
LAMBERT (froidement.)
Cette lettre à son adresse, ou je reprends mon nom. Je vous salue… (A part, riant.)
Pauvre bonhomme! (Il entre dans la chambre à gauche.)
FOURCHEVIF (seul.)
S'il croit que j'ai envie de me faire embrocher pour des merlettes!
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
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Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
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