Antoine, puis Théréson Marcasse et Miette
Antoine
(Seul.)
C'est égal ! je trouve que M. le fils à Monsieur est un peu jobard dans ce qu'il est.
Théréson
(La voix de Théréson, en dehors de la porte du fond, appelant avec un accent provençal très prononcé.)
Mietto !
Miette
(La voix de Miette, plus éloignée ; même accent.)
Plaît-y ?
Antoine
(à part.)
Qu'est-ce que c'est que ça ?
Théréson
(ouvrant la porte et parlant à la cantonade.)
Allons ! arrive ! dépêche-toi… que c'est ici !
(Elle entre.)
Miette
(arrivant.)
Un moment ! qu'on glisse dans ces escaliers… que j'ai manqué de me casser le cou.
(Elles sont toutes deux chargées de paniers, de bottes, de petites caisses.)
Antoine
(à part.)
Ce sont les dames qu'on attend.
Théréson
(l'apercevant.)
Té ! un domestique homme !
Miette
Bagasse ! bon genre !
Théréson
(à Antoine.)
Eh ! bonjour, mon bon ! comment que ça va ? tu ne me remets pas ?
Antoine
Mais…
Théréson
Ca ne m'étonne pas… tu ne m'as jamais vue…
Miette
(riant à se tordre.)
Hi hi hi !
Théréson
Mais on a dû te parler souvent de moi… Théréson Marcasse !
Antoine
Marcasse ?
Théréson
La veuve Marcasse… la fabricante de savon… la correspondance, depuis plus de septante ans, de ce brave Beautendon… de père en fils et de mère en fille !
Antoine
(à part.)
C'est une femme bien campée !
Théréson
Comment qu'il va, ce brave Beautendon ? il va bien ?
Antoine
Très bien ! il est sorti.
Théréson
Ne le dérange pas…
Miette
(riant à se tordre.)
Hi hi hi !
Antoine
(à part, la regardant.)
Elle est gaie ! c'est la demoiselle !
Théréson
Et Godefroid, ce brave Godefroid… comment qu'il va ? Il va bien ?
Antoine
Parfaitement… il met une cravate blanche.
Théréson
Ne le dérange pas… je veux lui faire la surprise…
Antoine
La surprise ? mais on comptait sur vous !
Théréson
Qu'est-ce que tu me dis là ?
Antoine
Et sur Mademoiselle aussi… Votre chambre est tout prête.
Théréson
Eh bien, ça ne m'étonne pas ! Beautendon, il devait bien comprendre qu'au reçu de son amicale… où il me dit de descendre chez lui… où il me parle de Godefroid dans des termes… Ah ! mon bon, quelle lettre ! veux-tu que je t'en fasse lecture ?
Antoine
(discrètement.)
Oh ! madame…
Théréson
Je ne te la ferai pas… c'est des affaires de famille !
Antoine
Madame ne s'assoit pas ?
Théréson
C'est pas de refus…j'ai les jambes qui me rentrent… Assetto-ti, Mietto.
Miette
Siou pas lasso.
Théréson
Assetto-ti.
Antoine
(à part.)
Quel drôle de baragouin !
(Elles s'asseyent. Théréson à droite, Miette à gauche, tirent un bas de leur poche et se mettent à tricoter.)
Théréson
(à Antoine.)
Sais-tu qu'il y a loin depuis l'embarcadère !
Antoine
Vous arrivez par le chemin de fer du Nord ?
Théréson
Non, de Lyon.
Antoine
Non, du Nord… Cambrai !
Théréson
Quoi, Cambrai ?
Antoine
C'est Nord.
Théréson
Je ne dis pas que Cambrai, c'est pas Nord… il me semble pourtant bien que nous avons pris celui de Lyon.
Miette
Ca me semble…
Antoine
C'est possible… par embranchement.
Théréson
Après ça, ne me parlez pas de vos chemins de fer… qu'on ne s'y reconnaît plus… ça va comme le mistral… on n'a pas le temps de rien… Ah ! quel voyage, jeune homme !… Dis-moi ton nom ?
Antoine
Antoine !
Théréson et Miette
(avec étonnement et se levant.)
Té !!!
Antoine
Quoi ?
Théréson
Tu t 'appelles Toine ?
Antoine
Antoine !
Théréson
J'ai mon maître portefaix qui s'appelle aussi Toine !
Antoine
Ah !
Miette
Mais le portefaix, il est plus large de carrure… (Montrant avec ses deux mains.)
Il a ça de large, je l'ai mesuré… tandis que vous, vous êtes, mince comme un fifi !
Antoine
(à Part.)
Fichtre ! pour une demoiselle timide, elle toise les portefaix !…
Théréson
Tu me croiras si tu veux, bon Toine…
Antoine
(à part.)
Bon Toine !
Théréson
Celui qui m'aurait dit le mois dernier : "Tu seras dans trois semaines à Paris chez ce brave Beautendon…" j'y aurais dit : "Ah ! taisez-vous, que vous ne savez pas ce que vous dites ! " Je te fais juge ! est-ce que je pouvais bouger… avec une fabrique de savon sur le dos ?…
Antoine
Diable ?
Théréson
(s'attendrissant.)
Surtout après l'accident cruel qui m'a rendue veuve à vingt et un ans et demi, et me privant de ce pauvre Marcasse !
Antoine
Vous avez eu le malheur de le perdre ?
Théréson
De le perdre ? on me l'a mangé, mon bon !
Antoine
Mangé !…
Théréson
Les Cafres, ces coquins de Cafres, ces abominables Cafres !
Antoine
(sans comprendre.)
Hein ?
Miette
(à Théréson.)
Anas maï parlar d'aco ?
Théréson
Laïsso-midi countar aqueou cruel récit.
Miette
Per vous faïré de pégin !
Théréson
Noun ! Mis soulageo lou couar.
Antoine
(à part.)
Quel drôle d'accent ont les dames de Cambrai !
Théréson
Pour te revenir, bon Toine ! Il était capitaine au long cours, un homme superbe ! je l'avais épousé d'inclination.
Miette
(élevant ses mains.)
Il avait ça de hauteur ! je l'ai mesuré !
Antoine
(à part.)
Elle mesure tout le monde ?
Théréson
Huit jours après notre mariage, peuchère ! il me dit : "Faut que je m'embarque…" c'était un vendredi… Je me jette à ses pieds : "Marcasse, ne t'embarque pas un vendredi ! fais-moi ce plaisir…" Il ne m'écouta pas… il était têtu !
Miette
Coumo un aï !
Théréson
N'en digues pas de maou, que mi l'an mangia !
Antoine
(à part.)
Mangia !
Théréson
Pour te revenir, bon Toine !… il s'embarque un vendredi sur la Belle-Théréson… Son bâtiment, il portait mon nom…
Antoine
Naturellement.
Théréson
Il part… bonne brise… vent arrière… est-nord-est… dix nœuds à l'heure… qu'il aurait mouillé à Sumatra en moins de deux mois si ça avait duré comme ça… mais je t'en fiche…
Antoine
Ah !
Miette
Pas plus tôt passé le détroit, voilà une tempête !…
Théréson
Oh ! mais une tempête !… une de ces tempêtes !…
Antoine
Enfin, une forte tempête !…
Théréson
(Air, Femmes, voulez-vous éprouver)
Battu par le flot inhumain,
Son navire fait avarie,
Et l'ouragan le jette enfin
Sur les côtes de Cafrerie…
Pauvre Marcasse, hélas ! c'est là
Qu'aux Cafr's il servit de pâture.
Miette
Un homme si bon !
Théréson
C'est pour ça
Qu'ils en ont fait leur nourriture,
On n'a plus retrouvé que son gilet de flanelle…
Miette
Et qu'ils en avaient mangé une manche aussi !
Antoine
(cherchant à les consoler.)
Que voulez-vous !… chaque peuple a ses usages !
Théréson
(se consolant tout à coup.)
Té ! que faire à cela ?… nous sommes tous mortels !… Voilà dix-huit mois que je pleure… je crois qu'il doit être content.
Antoine
Faudrait qu'il soit bien difficile…
Théréson
Mais, bon Dieu !… que tu es bavard, bon Toine !
Antoine
Moi ?
Théréson
Tu m'as parlé d'une chambre, et, en place de m'y mener, tu es là que tu causes… que tu causes !…
Antoine
(à part.)
Ah ben !… (Haut.)
C'est par ici, si ces dames veulent passer.
Théréson
(le contrefaisant.)
"Veulent passer… veulent passer…" ce bon Toine !… je trouve que tu as de l'accent !
Antoine
Moi ? (Souriant.)
Moins qu'à Cambrai !
Théréson
Qu'est-ce qu'il a toujours à parler de Cambrai !
Théréson et Miette
(Air : Sur le pont d'Avignon)
Allons ! montre-nous donc
Cette chambrette
Proprette.
Beautendon
Est si bon
Qu'il nous offre sa maison.
Antoine
Venez, suivez-moi donc
Dans cette chambrette
Proprette.
Le patron
Est si bon
Qu'il vous offre sa maison.
(Théréson et Miette entrent à droite, premier plan, suivies d'Antoine, qui porte leurs bagages.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...