Scène II


(Beautendon, Godefroid, entrant par, la gauche, deuxième plan)

Godefroid
(qui a entendu les derniers mots.)
De la violette !

Beautendon
Ah ! c'est mon fils.

Godefroid
Pour qui, p'pa ?

Beautendon
le regardant fixement.
Eh bien, Godefroid ?

Godefroid
Quoi, p'pa ?

Beautendon
Que dit-on le matin à l'auteur de ses jours ?

Godefroid
Ah oui !… Bonjour p'pa.

Beautendon
Bonjour, mon fils.
(Il le baise au front.)

Godefroid
Vous attendez donc quelqu'un ?

Beautendon
(avec intention.)
De Cambrai, Godefroid.

Godefroid
(effrayé.)
Ah ! mon Dieu ! mademoiselle Blanche et sa grosse maman

Beautendon
Elles-mêmes… ta future et sa respectable mère, madame de Sainte-Poule… Elles arrivent à midi… demain les fiançailles et le contrat…

Godefroid
Comme Ca !… tout de suite !

Beautendon
La corbeille est commandée… Tout est convenu, arrangé, et nous allons aller à l'embarcadère du Nord, au-devant de ces dames… Tu donneras le bras à madame de Sainte-Poule.

Godefroid
(intimidé.)
Oh non ! oh non !

Beautendon
Pourquoi donc ?

Godefroid
Papa… elle est trop puissante !

Beautendon
(sévèrement.)
Godefroid, soyez franc !… ce n'est pas… la puissance de cette aimable dame… c'est encore votre déplorable timidité qui vous fait louvoyer en ce moment dans le sentier du devoir.

Godefroid
(balbutiant.)
Papa, ce n'est pas ma faute.

Beautendon
(lui frappant sur l'épaule.)
Allons donc, mon garçon ; sois homme, morbleu ! de l'aplomb, sac à papier !… Je t'ai fait voyager tout seul, il y a trois mois, pour te donner, par le frottement du monde… cette noble hardiesse qui rend un jeune homme accompli… Il est vrai que je n'y ai pas fait mes frais.

Godefroid
Oh ! papa !

Beautendon
Non, mon fils ! comment t'es-tu conduit, notamment à Marseille, avec cette charmante petite veuve ?…

Godefroid
Oh ! la veuve Marcasse !…

Beautendon
Une correspondante de la maison Veuf Beautendon… qui t'avait offert une si gracieuse hospitalité… et dont tu as quitté la demeure, nuitamment, sans présenter tes hommages.

Godefroid
Papa, elle m'effarouchait.

Beautendon
Allons donc ! pour colorer autant que possible une pareille incivilité… j'ai été obligé de lui écrire que tu étais parti pour lui cacher un amour… qui serait peut-être sorti des bornes !…

Godefroid
Moi ! amoureux de madame Marcasse ?… ça n'est pas vrai !…

Beautendon
Je le sais bien ! mais il fallait colorer.

Godefroid
Ah ben, oui !… une créature qui m'a sauté au cou à la première vue !

Beautendon
C'est un peu vif !…

Godefroid
Et qui me tutoyait avec son accent marséyais !… (Il prononce avec l'accent marseillais.)
"Godefroid, tu n'as pas faim ? Godefroid, tu n'as pas soif !…" C'était assommant, papa…

Beautendon
J'avoue qu'une telle familiarité… Je suis fâché d'avoir écrit à cette Méridionale de descendre chez moi, quand elle viendrait à Paris…

Godefroid
(effrayé.)
Vous avez écrit ça ?

Beautendon
Une politesse sans conséquence… Heureusement elle ne viendra pas… sa fabrique de savon la retient à Marseille… (Regardant à sa montre.)
Mais, mon Dieu ! les dames de Sainte-Poule vont arriver… nous n'avons que juste le temps !… voyons si ta mise est convenable…Comment ! une cravate verte ?…

Godefroid
C'est ma neuve.

Beautendon
Impossible pour la circonstance… une cravate blanche, c'est de rigueur…

Godefroid
Mais, papa…

Beautendon
Dépêche-toi, et viens me rejoindre au chemin de fer.

Ensemble
(Air Suivez-moi)
Il faut que je me hâte,
C'est l'heure du convoi,
Mets ta blanche cravate
Et là-bas rejoins-moi.

Godefroid
Oui, papa, je me hâte
D'obéir ; mais pourquoi
D'une blanche cravate,
M'affubler malgré moi ?
(Beautendon sort par le fond.)


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