ACTE premier - Scène VIII
(Dorimant Lysandre.)
Dorimant
Je ne saurais encor te suivre si tu sors :
Faisons un tour de salle, attendant mon Cléante.
Lysandre
Qui te retient ici ?
Dorimant
L'histoire en est plaisante :
Tantôt, comme j'étais sur le livre occupé,
Tout proche on est venu choisir du point coupé.
Lysandre
Qui ?
Dorimant
C'est la question ; mais s'il faut s'en remettre
À ce qu'à mes regards sa coiffe a pu permettre,
Je n'ai rien vu d'égal : mon Cléante la suit,
Et ne reviendra point qu'il n'en soit bien instruit,
Qu'il n'en sache le nom, le rang et la demeure.
Lysandre
Ami, le cœur t'en dit.
Dorimant
Nullement, ou je meure ;
Voyant je ne sais quoi de rare en sa beauté,
J'ai voulu contenter ma curiosité.
Lysandre
Ta curiosité deviendra bientôt flamme ;
C'est par là que l'amour se glisse dans une âme.
À la première vue, un objet qui nous plaît
N'inspire qu'un désir de savoir quel il est ;
On en veut aussitôt apprendre davantage,
Voir si son entretien répond à son visage,
S'il est civil ou rude, importun ou charmeur,
Eprouver son esprit, connaître son humeur :
De là cet examen se tourne en complaisance ;
On cherche si souvent le bien de sa présence,
Qu'on en fait habitude, et qu'au point d'en sortir
Quelque regret commence à se faire sentir :
On revient tout rêveur ; et notre âme blessée,
Sans prendre garde à rien, cajole sa pensée.
Ayant rêvé le jour, la nuit à tous propos
On sent je ne sais quoi qui trouble le repos ;
Un sommeil inquiet, sur de confus nuages,
Elève incessamment de flatteuses images,
Et sur leur vain rapport fait naître des souhaits
Que le réveil admire et ne dédit jamais ;
Tout le cœur court en hâte après de si doux guides ;
Et le moindre larcin que font ses vœux timides
Arrête le larron, et le met dans les fers.
Dorimant
Ainsi tu fus épris de celle que tu sers ?
Lysandre
C'est un autre discours ; à présent je ne touche
Qu'aux ruses de l'amour contre un esprit farouche,
Qu'il faut apprivoiser presque insensiblement,
Et contre ses froideurs combattre finement.
Des naturels plus doux…