LES MÊMES, HORS CHAMEROY.
PAUL
Et moi, mesdames, ma tâche est terminée.
(Il va pour sortir.)
HENRIETTE
Pas encore, monsieur !
PAUL
Comment ? Que voulez-vous dire ?
HENRIETTE
Je veux dire, monsieur, que tout ce que vous venez de faire est sans doute très important… qu'il est très utile d'embellir ce salon… de décorer cette cheminée… de mettre partout des fleurs et du goût ; mais ce n'est pas ce salon que M. de Vérac compte épouser ! c'est moi ! Et à quoi servira de métamorphoser la maison, si celle qui l'habite reste toujours ce qu'elle est, c'est-à-dire gauche…
PAUL
Oh ! mademoiselle ! mademoiselle !
HENRIETTE
Oh ! vous l'avez dit, monsieur ! et je ne me fais pas d'illusions ! je sais très bien tout ce qui me manque !
MADAME CHAMEROY
Ce qui te manque?… je voudrais bien savoir quoi !
HENRIETTE
Monsieur te le dira !
PAUL
Mais, mademoiselle…
HENRIETTE
Oh ! il n'y a pas à refuser ! M. de Vérac est-il votre ami ? Oui ! avez-vous envie que je lui plaise ? Oui ! Eh bien, aidez-moi à lui plaire !
PAUL(à part.)
Quel singulier rôle elle me donne là !
HENRIETTE
Voyons, regardez-moi… comme vous avez regardé ce salon tout à l'heure, et dites-moi tout !… tout !… (Elle se place devant lui.)
Eh bien ?
PAUL(après l'avoir regardée.)
Eh bien, je vous avouerai que la coiffure…
@MADAME CHAMEROY ()(éclatant de rire.)
Ah! ah! admirable!… j'étais sûre qu'il allait s'embourber !… Sachez, monsieur, que j'ai fait venir, ce matin, un coiffeur tout exprès… un coiffeur que j'ai payé six francs.
PAUL
Précisément ! c'est une coiffure de coiffeur… On n'y sent pas une main de jeune fille !… Ces cheveux sur le front vous donnent une physionomie qui n'est pas la vôtre !… Cette boucle avancée…
HENRIETTE
Oh ! je comprends ! je comprends !(Regardant dans la glace et se coiffant.)
Tenez, comme cela ?
PAUL
A la bonne heure !
HENRIETTE
Et comme cela ?
PAUL
À merveille !
HENRIETTE
Eh bien, c'est juste ce que je fais tous les jours quand je me coiffe moi-même !… Après ?
PAUL
Comment, après ?
MADAME CHAMEROY
Oui, après?
HENRIETTE
Il y a certes bien d'autres choses !
PAUL
Il y a encore… la robe… Qui est-ce qui vous a fabriqué cette robe-là ?
MADAME CHAMEROY
C'est…
PAUL
C'est un meurtre ! Une taille pareille dans ce corsage ! Je vous adresserai à une personne admirable qui a beaucoup travaillé pour moi.
HENRIETTE
Une couturière ?
PAUL
Oui, la reine des couturières !
HENRIETTE(riant.)
Et elle a travaillé pour vous ?
PAUL(embarrassé.)
Pour moi ! pour moi ! je veux dire pour une cousine… une jeune cousine qu'elle a métamorphosée…
HENRIETTE
Nous verrons cela plus tard… Après ?
PAUL
Après ?
HENRIETTE
Cela ne fait que commencer ! Vous ne m'avez donné jusqu'ici que des conseils de coquetterie !… et il ne suffit pas qu'une femme soit bien coiffée… bien habillée pour plaire à un honnête homme et le rendre heureux !… Or, je veux que mon mari soit très heureux ; je veux qu'il m'aime de toutes les façons… avec ses yeux, avec son cœur et avec son esprit.
@MADAME CHAMEROY ()(attendrie.)
Est-elle gentille !
PAUL
Eh bien, mademoiselle, M. de Vérac a une affection très profonde dans sa vie. Il adore sa mère, qui est un peu vieille, un peu infirme, et qui n'a plus guère que deux plaisirs dans ce monde : entendre chanter et entendre lire. Avez-vous une jolie voix?
MADAME CHAMEROY
Une voix superbe!… juste la mienne quand j'étais jeune.
PAUL
Maintenant, savez-vous lire?
@MADAME CHAMEROY ()(avec indignation.)
Comment ! si elle sait lire ? Pour qui nous prenez-vous ?… Apprenez, monsieur, que ma fille a été élevée dans la meilleure pension de Paris ! et qu'elle suit encore maintenant un cours de (lit)
térature !
(Elle prend le livre qui est sur la table.)
HENRIETTE
Monsieur demande comment je lis.
MADAME CHAMEROY
Elle lit ! elle lit !… comme elle parle !
PAUL
Ah ! si c'était vrai !… Nous allons bien savoir !… (Apercevant le livre que tient Madame Chameroy.)
Qu'est-ce que ce livre-là ? Lettres choisies de madame de Sévigné ! Parfait ! la passion de madame de Vérac. (Il ouvre le livre.)
La lettre sur l'archevêque… tenez.
HENRIETTE
Comment ? Lire tout haut ?
PAUL
Oui.
HENRIETTE
Devant vous ?… Oh ! vous me feriez trop peur !
PAUL
Il n'y a pas de quoi… Allez !
HENRIETTE
Quoi ! Vous voulez?…
PAUL
Allons, du courage !
HENRIETTE(elle prend le volume et lit en écolière, en pensionnaire, sans nuance et d'un train de poste.)
"L'archevêque de Reims revenait hier fort vite de Saint-Germain… c'était un tourbillon. Il croit bien être grand seigneur, mais ses gens le croient encore plus que lui. Ils passaient au travers de Nanterre, tra tra tra ! Ils rencontrent un pauvre homme à cheval… Gare ! Gare !"
@MADAME CHAMEROY ()(avec enthousiasme.)
Charmant ! charmant ! (à Paul.)
Qu'est-ce que vous dites de cela ? parlez franchement…
HENRIETTE
Oui, parlez… franchement.
PAUL(gaiement.)
Franchement… Eh bien, je dis que ce n'est pas cela du tout.
MADAME CHAMEROY
Hein !
HENRIETTE
Comment ?
PAUL
Pourquoi chanter en parlant ? Pourquoi parler en galopant ? Pourquoi cesser d'être vous-même ?
HENRIETTE
Mais…
PAUL
Est-ce que vous diriez en causant : (Prenant son ton de pensionnaire.)
"L'archevêque de Reims revenait hier fort vite de Saint-Germain… c'était un tourbillon."
HENRIETTE
Oh ! non !
PAUL(continuant toujours en l'imitant.)
"Il croit être bien grand seigneur, mais ses gens le croient encore plus que lui !"
HENRIETTE
Comment ! je suis si ridicule que cela ?
PAUL(continuant à l'imiter.)
"Ils passaient par Nanterre, tra tra tra!… Ils rencontrent un pauvre homme à cheval ! Gare ! Gare ! Gare !"
HENRIETTE
Oh ! assez ! assez ! c'est affreux ! mais que faut-il donc faire pour bien lire ?
PAUL
Ah ! ce n'est pas moi qui suis capable de vous l'apprendre!… mais je connais un habile homme…
HENRIETTE
Je le prends !… après ?…
PAUL
Comment, après ?
HENRIETTE
Mais tout cela n'est encore que de l'agrément, il faut arriver au sérieux.
PAUL
Au sérieux ! mais nous y sommes… (Montrant le livre.)
avec cette charmante créature que votre instinct vous a conduite à aimer ! Elle vous montre qu'on peut être à la fois rieuse et sérieuse… Faite pour le monde et faite pour l'étude, car elle lisait tout, s'intéressait à tout, s'occupait de tout, de science sans être pédante, de poésie sans être bas-bleu, de métaphysique sans être ennuyeuse… Et, si vous ajoutez qu'en outre elle fut la plus honnête des femmes, la plus dévouée des amies, et la plus tendre des mères… tendre jusqu'à l'héroïsme, la pauvre femme !… car elle est morte en soignant sa fille, et d'avoir soigné sa fille ! (Madame Chameroy essuie ses yeux.)
Alors vous comprendrez que tous mes conseils se réduisent à un seul ! Vous voulez être une bonne femme et une charmante femme? Eh bien, voilà le modèle !… Tâchez de lui ressembler !… Ah ! bon Dieu ! voilà que j'ai fait une conférence sur madame de Sévigné ! Non, ma parole d'honneur ! vous me faites faire des choses incroyables !
@MADAME CHAMEROY ()
à part. Il me plaît ! il me plaît !
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