Scène VII


LES MÊMES, LE DOMESTIQUE. CHAMEROY, au domestique. Qu'est-ce que c'est ?

LE DOMESTIQUE
On vient chercher une réponse à la demande d'hier soir.

MADAME CHAMEROY
Quelle demande?

CHAMEROY
Tu sais bien, de la part de cette société de prêt pour l'établissement des nouveaux colons en Algérie.

PAUL(écrivant.)
Je connais cette société !

MADAME CHAMEROY
Qu'est-ce qu'elle veut cette société ?

CHAMEROY
C'est une société de prêt, elle veut que je lui prête.
@MADAME CHAMEROY ()(au domestique.)
Il n'y a pas de réponse !

PAUL(tout en écrivant.)
Comment ! vous refusez ! une si bonne œuvre !

MADAME CHAMEROY
Il y a toujours moitié gabegie dans ces bonnes œuvres-là !

PAUL(toujours écrivant.)
Vous voulez apprendre à dépenser, soyez généreuse !

HENRIETTE
Tu ne veux pas ressembler aux fourmis, sois prêteuse.

MADAME CHAMEROY
Prêteuse ! prêteuse !

HENRIETTE
Ah ! maman, toi qui es si bonne, qui donnes tant aux pauvres de Saint-Quentin !

MADAME CHAMEROY
D'abord, c'est à Saint-Quentin ! puis prêter et donner sont deux ! un prêt est une affaire ! et il faut qu'une affaire soit bonne !… mais ces colons, sur quoi leur prêteraije?

PAUL(toujours écrivant.)
Sur leur travail, sur leur probité.

MADAME CHAMEROY
Mauvaise hypothèque, il n'y a que les jobards qui font des opérations pareilles !

PAUL (se levant.)
Oui, madame Chameroy ! oui, les jobards, la sainte phalange des jobards ! Tâchez d'en être, mon cher monsieur Chameroy ! car les jobards, ce sont ceux qui croient à quelque chose ! qui se sacrifient pour quelque chose ! qui prêtent même en sachant qu'on ne leur rendra pas ! qui donnent en sachant qu'on ne leur saura jamais gré ! qui ont foi dans l'amitié, dans l'amour, dans la probité ! qu'est-ce qui a fait les plus grandes choses de ce monde ? Des jobards ! Les martyrs ? Jobards! Les héros ? Jobards! Et Dieu veuille qu'un jour, en face d'un service à rendre, d'une preuve de dévouement à donner, j'oublie assez toutes les lois de la prudence pour qu'on dise de moi : "Quel jobard !"

CHAMEROY
Ah ! ma foi, je veux être jobard aussi !

PAUL
A la bonne heure ! nous ferons quelque chose de vous !

CHAMEROY(à sa fille.)
Va dire à la personne qui est là que la fourmi souscrit pour trois mille francs.

PAUL(à Henriette.)
Mademoiselle, veuillez y joindre ces dix louis sur lesquels je ne comptais pas, l'obole du pauvre.

HENRIETTE
De grand cœur, monsieur ! (À Chameroy.)
Tu es un amour de père !
(Elle sort.)

PAUL
Maintenant, achevons notre ouvrage, nous n'avons que le temps.

HENRIETTE(rentrant.)
Voilà ! c'est entendu !

PAUL
Sonnez tous vos gens !

CHAMEROY(prenant les lettres.)
Donnez, donnez ! Je me charge de tout ! Fourmi !
(Il sort.)


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