Scène XIV


(PIGET, POMADOUR, COURTIN.)

POMADOUR
Vous ne savez pas ce qui arrive ?

COURTIN ET PIGET
Quoi donc ?

POMADOUR
Le misérable vient d'embrasser ma femme une seconde fois.

PIGET
C'est une profession.

COURTIN
Alors, c'est un duel à mort !

POMADOUR
Qui est-ce qui te parle de ça ? Il est enragé, celui-là !… Voyons, soyons calmes… je ne sais pas me battre, moi ; je vends des épées, mais je ne sais pas me battre… Eh bien, s'il me tue, il n'en aura pas moins embrassé ma femme.

PIGET
Onze fois !

COURTIN
Le malheur, c'est que tu l'as provoqué !

POMADOUR
Je l'ai provoqué !… oui, je l'ai provoqué !… mais, depuis, il s'est passé un fait nouveau qui nécessite un répression plus sévère… Est-ce que vous ne pensez pas qu'un bon procès en dommages-intérêts ?…

COURTIN
Il sera condamné à quinze francs.

PIGET
Comme pour un soufflet.

POMADOUR
Tu as donné un soufflet, toi ?

PIGET
Non… je l'ai reçu… et j'ai reçu quinze francs.

COURTIN
Et les journaux s'empareront de l'affaire… ils feront connaître à tout le monde que ta femme a été embrassée…

PIGET
Et le public croira autre chose.

POMADOUR
Mais, sacrebleu ! messieurs, nous ne sommes pas protégés ! Il faut faire une loi… Ah ! si jamais j'arrive à la Chambre…

COURTIN
Qu'est-ce que tu feras ?

POMADOUR
Tout homme qui aura embrassé une femme mariée… sera déporté !

PIGET
Quelle belle colonie !

POMADOUR
… Déporté dans une île où il n'y aura que de vieilles négresses !… Ah ! tu veux embrasser les femmes ! En voilà !!!

COURTIN
Dis donc, tu sais qu'il est toujours dans l'orangerie ?

POMADOUR
C'est juste… Voyons, il faut décider quelque chose. Je ne veux pas me battre, je ne veux pas faire de procès, je ne peux pas le déporter…

COURTIN
Si on pouvait lui imposer une forte amende.

POMADOUR
Tiens !… une amende !… c'est une idée !… Deux cents francs !

PIGET
C'est beaucoup.

POMADOUR
Nous le verrons venir… on est toujours à même de diminuer. Rappelez-le !… Rappelez ma femme.


Autres textes de Eugène Labiche

Un pied dans le crime

(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....

Un monsieur qui prend la mouche

Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....

Un monsieur qui a brûlé une dame

(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...

Un mari qui lance sa femme

(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...

Un jeune homme pressé

(Le théâtre représente une chambre à coucher. — Au fond, au milieu, un lit avec des rideaux. À côté, une table de nuit. À droite et à gauche du lit,...



Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2025