(BLANCMINET, BOURGILLON)
BOURGILLON(entrant très endimanché.)
Me voilà, père Blancminet… Vous me disiez que le receveur ?…
BLANCMINET
Il y a longtemps que je vous le dis, c'est notre ennemi ! j'en ai la preuve !
BOURGILLON
Qu'est-ce qu'il a encore fait, cet intrigant-là ?
BLANCMINET
Hier… je suis certain de ce que j'avance… il a donné un grand dîner !
BOURGILLON
Bigre !
BLANCMINET
Et je n'en étais pas !
BOURGILLON
Ni moi non plus.
BLANCMINET
Il avait invité toute sa coterie… Basin le coiffeur…
BOURGILLON
Qui est dentiste en même temps !…
BLANCMINET
Encore un qui a ajouté une corde !
BOURGILLON
Etes-vous bien sûr de ce que vous dites ?
BLANCMINET
On a mangé des huîtres !… j'ai vu les coquilles à la porte ! voici l'échantillon !
(Il montre une coquille d'huître.)
BOURGILLON
Mâtin !… étaler ses coquilles d'huître !…
BLANCMINET
Pour nous narguer !… il nous dit : "Je mange des huîtres, vous n'en mangez pas ! "
BOURGILLON
C'est une déclaration de guerre !
BLANCMINET
Et, le soir, on a été en procession prendre le café chez Basin…
BOURGILLON
Un petit drôle !
BLANCMINET
Un polisson… Eh bien, qu'est-ce que vous dites de tout cela ?
BOURGILLON
Père Blancminet, il faut nous venger !… On nous attaque, nous allons tirer le canon !… il me vient une idée des plus énergiques…
BLANCMINET
Parlez !
BOURGILLON
Suivez-moi bien… vous allez donner un grand dîner aujourd'hui même…
BLANCMINET
Moi ?… Pourquoi pas vous ?
BOURGILLON
Impossible !… j'ai mal à l'estomac… et puis ma femme est absente… vous inviterez l'huissier… vous m'inviterez moi, le notaire !… et puis Loiseau.
BLANCMINET
Avec son lorgnon ?…
BOURGILLON
Enfin tout le barreau de Vitry-le-Brûlé !
BLANCMINET
Ce sera magnifique !
BOURGILLON
Et au dessert… nous mangerons des huîtres, nom d'un petit bonhomme !
BLANCMINET
Mazette… c'est bien hardi.
BOURGILLON
Et nous éparpillerons les coquilles !… nous en ferons un trottoir devant votre porte !… et le receveur sera obligé de marché dessus tous les soirs en allant faire son whist !
BLANCMINET(effrayé.)
Diable ! diable ! diable !… nous allons nous faire des ennemis !
BOURGILLON
Vous reculez ?
BLANCMINET
Non !… mais, si vous n'aviez pas eu mal à l'estomac… j'aurais préféré que ce fût vous… Enfin ! … on se mettra à table à trois heures précises…
BOURGILLON
J'y serai à deux…
BLANCMINET
Ah ! tenez, voilà votre montre… c'est quarante sous… c'était la chaîne qui accrochait…
BOURGILLON
Encore ! mais la semaine dernière…
BLANCMINET
La semaine dernière, c'était la roue… nous avons la chaîne et la roue…
BOURGILLON(à part.)
Il est un peu apothicaire, l'horloger !
BLANCMINET
Ah çà ! causons, de notre grande affaire… Avez-vous parlé à M. Loiseau pour ma fille ?
BOURGILLON
Oui… je ne comprends rien à ce garçon-là !… Au premier mot, il m'a pris la main, avec son lorgnon, et m'a dit : "N'insistez pas de grâce… il m'est impossible de me marier ! "
BLANCMINET
Impossible !… est-ce qu'il serait malade ?
BOURGILLON
Je pense qu'il a un mauvais estomac… Quand il est avec moi, il bâille toujours…
BLANCMINET
Avec moi aussi.
BOURGILLON
Avec ma femme, c'est un autre genre… il lui lance des regards… et ne lui parle que de légumes… de haricots verts, de petits pois… Je crois qu'il ne peut pas la souffrir !
BLANCMINET
C'est probable.
BOURGILLON
D'abord, s'il ne se marie pas… mon étude lui passera devant le nez… il n'est pas assez riche…
BLANCMINET
Et, s'il n'a pas l'étude, il n'aura pas ma fille !
BOURGILLON
Ne dites rien !… j'attends un autre clerc de Paris depuis quinze jours pour traiter.
BLANCMINET
Ah bah !… alors je le prends pour gendre !
BOURGILLON
Attendez donc !… vous ne le connaissez pas !
BLANCMINET
Ça m'est égal, s'il achète l'étude, je le prends pour gendre… car, voyez-vous, mon rêve depuis vingt ans, c'est de marier ma fille au notaire de Vitry-le-Brûlé, quel qu'il soit !… J'ai juré de ne pas mourir sans être le beau-père de cette étude…
BOURGILLON
Ambitieux !
BLANCMINET
Vous n'êtes pas jeune… Eh bien, si vous deveniez veuf, je vous prendrais !
BOURGILLON
Oh ! merci ! si je devenais veuf… je ne me remarierais pas…
BLANCMINET
Oh ! je sais pourquoi ! vous avez toujours aimé à courtiser les petites mères !
BOURGILLON
J'avoue que je suis amateur… les femmes me sont sympathiques !…
BLANCMINET
Et ce n'est pas pour de prunes qu'on vous appelle le beau Bourgillon !
BOURGILLON(avec modestie.)
Le fait est qu'à Vitry-le-Brûlé on a des bontés pour moi !
BLANCMINET
Ah çà ! si votre jeune homme arrivait, vous me feriez prévenir… je viendrais l'inviter à dîner… il verrait ma fille, qui revient aujourd'hui de chez sa tante…
BOURGILLON
Soyez tranquille !
BLANCMINET
À tantôt… on dînera à trois heures très précises. (À part.)
C'est égal, les huîtres… c'est bien hardi !
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...
(Le théâtre représente une chambre à coucher. — Au fond, au milieu, un lit avec des rideaux. À côté, une table de nuit. À droite et à gauche du lit,...