Galimard ; puis Antony
Galimard (rentrant par la gauche.)
C'est bien ! j'en fais mon affaire ; je vais lui donner son compte, au domestique mâle… et ce ne sera pas long ! (Avec satisfaction.)
Enfin, ma femme reconnaît mon autorité… je me suis montré… j'ai dit : "Je le veux ! " et nous allons reprendre Jeannette ! Ah çà ! où est-il, cet animal-là, que je le flanque à la porte… (Appelant.)
Garçon ! Garçon !
Antony (qui entre vivement, un plat d'écrevisses à la main.)
Baoun !
Galimard (se retournant, jette un cri et tombe sur un fauteuil, à gauche. À part.)
Ah ! mon Dieu ! cette voix !… ces écrevisses !… le garçon de chez Véry !
Il tire vivement son mouchoir et s'en couvre le visage.
Antony (se retournant.)
Le bourgeois ! (Voyant Galimard se tenir la mâchoire.)
Lui aussi !… Il paraît que c'est une famille qui est en train de faire ses dents.
Galimard (à part)
Je suis perdu ! cet homme chez moi !… Et ma femme !… quelle position !… un jour où j'attends du bois.
Antony (à part)
C'est le moment de lui présenter mes hommages.
Galimard (à part)
Si je pouvais le renvoyer sans qu'il me reconnût.
Antony (saluant.)
Monsieur Galimard…
Galimard (à part)
Mon nom !… je suis reconnu.
(Il ôte son mouchoir.)
Antony (souriant d'un air aimable.)
Je vous prie d'agréer l'assurance…
Galimard (à part)
A-t-il l'air sûr de son fait !
Antony (le poursuivant.)
De la parfaite considération…
Galimard (à part)
Il rit sardoniquement, le gueux !
Antony
Avec laquelle j'ai l'honneur…
Galimard (à part)
C'est égal, j'aurai du courage !
Antony
D'être votre très humble…
Galimard (à part)
Je nierai effrontément… il n'a pas de preuves…
Antony
Très respectueux et très obéissant…
Galimard (à part)
Et je le flanquerai…
Antony
Serviteur.
Galimard (à part)
À la porte.
Antony (à part)
Il a des fourmis dans les jambes !… c'est le mal de dents ! (Avec douleur.)
Pauvre homme !
Galimard (allant résolument vers lui.)
Mon ami, je suis désolé, mais nous ne pouvons pas nous entendre ensemble.
Antony
Comment ça ?
Galimard
Tu comprends… à mon âge… on a besoin d'être dorloté…
Antony
Pour ce qui est de dorloter… je dorlote.
Galimard
Je le pense bien… mais rien ne vaut les soins d'une femme… En conséquence, tu vas me faire le plaisir de…
Antony
Comment ! vous me renvoyez ?
Galimard
Non ! oh ! non… mais je te donne ton compte. (À part.)
Puisqu'il n'a pas de preuves…
Antony (piqué.)
C'est bien, bourgeois… vous êtes le maître… mais je vous avoue que je ne m'attendais pas à ça… je me croyais à peu près sûr de mon affaire…
Galimard (à part)
Voyez-vous, le gueux !
Antony (jouant avec une tabatière.)
Prendre des domestiques à l'heure !… ce n'est pas bien… et, si on était méchant…
Galimard (apercevant la tabatière aux mains d'Antony, et à part.)
Ciel !… ma tabatière !… le général Foy !… il a des preuves !
Antony
Vous me permettrez bien de faire mes adieux à Madame ?… Je vais lui parler, et, quand elle saura…
(Il remonte.)
Galimard (à part)
Ma femme !… il va tout lui dire ! je suis dans ses griffes ! (Haut, ramenant Antony.)
Non ! c'est inutile ! reste !… tu me conviens, tu me conviens beaucoup… je t'arrête !
Antony (étonné)
Hein ?
Galimard
Tu sais bien que je ne peux pas faire autrement.
Antony
Ah ! à la bonne heure !… Eh bien, franchement, vous ne trouveriez pas mieux… quand on a desservi le 6 et le 7…
Galimard (effrayé)
Mais tais-toi donc !… il n'est pas nécessaire de rappeler… surtout devant ma femme !
Antony
C'est juste, je comprends vos scrupules. (À part.)
C'est un homme chaste. (Haut.)
Je m'abstiendrai de toute gaudriole.
Galimard (à part)
Que dire à ma femme, à présent ? et comment acheter son silence, à lui ?…
Antony
Ah ! monsieur… je voulais vous demander… paye-t-on la casse dans cette maison ?
Galimard
Oui…
Antony (avec chagrin.)
Ah !…
Galimard
C'est-à-dire non… comme tu voudras…
Antony
Comme je voudrai… alors, on ne la paye pas… et je m'empresse de vous prévenir…
Il tire de sa poche les morceaux d'assiettes, et les met les uns après les autres dans les mains de Galimard
Galimard
Comment !… mes assiettes ?…
Antony
Oh !… ça fait de l'effet comme ça… mais il n'y en a que deux jusqu'à présent !
Galimard (à part)
Ca promet… (Haut.)
Casse !… brise !… ne te gêne pas ! (À part.)
Gredin, va !…
Antony (à part)
Quelle différence avec M. Véry !… je l'aime, ce vieillard… (Haut.)
Quand Monsieur voudra déjeuner…
Galimard
Moi ? je suis bien en train de déjeuner… je n'ai pas faim…
Antony
Et Madame ?…
Galimard
Elle a le temps !…
Antony
Ah ! je vais vous dire : si je m'inquiète de votre appétit et de celui de la bourgeoise, c'est que je songe au mien, bourgeois
Galimard
Au tien ?
Antony
Oui, j'ai l'estomac d'un creux !… Et, comme il ne serait peut-être pas convenable que je déjeune avant vous…
(Il a repris sa tabatière et joue encore avec elle sans s'en apercevoir.)
Galimard (à part)
Hein ! il veut déjeuner avant moi.
Antony
Du moins, ça ne se faisait pas comme ça chez M. Véry…
Galimard
Silence !…
Antony
Quand je desservais le 6 et le…
Galimard
Encore ! te tairas-tu ?… Tiens ! assieds-toi là et mange !
Antony
Plaît-il ?
Galimard (le jetant brusquement sur une chaise.)
Avale et tais-toi !
Antony (à part)
Il paraît qu'on mange à la table des maîtres… je m'habillerai pour dîner.
(Morceau d'Ensemble Air de Romagnési Malheurs d'un amant heureux)
Antony (seul)
C'est vraiment charmant !
Me servir lui-même !
Complaisance extrême !
Est-il bon enfant !
Je suis, c'est unique !
À mon tour servi
Comme une pratique
De M. Véry !…
Galimard (parlé.)
Mais, tais-toi donc !… et avale !
(Pendant le chœur, Galimard sert Antony la serviette sous le bras, comme un domestique.)(Ensemble)
l
Galimard
Ah ! c'est effrayant !
Dans mon trouble extrême…
Quoi ! je sers moi-même
Un tel garnement !
Puisqu'il peut connaître
Mon fatal secret,
Le voilà mon maître,
Je suis son valet.
Antony
C'est vraiment charmant !
Me servir lui-même !
Complaisance extrême !
Est-il bon enfant !
Voilà bien le maître
Qui me convenait !
Aussi, je veux être
Toujours son valet !
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
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Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
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