Scène II


Monsieur et Madame Galimard

Galimard (entre en appelant.)
Jeannette ! Jeannette !

Madame Galimard
Je viens de la mettre à la porte, votre Jeannette !

Galimard
Comment ! une si bonne fille ! la renvoyer… un jour où j'attends du bois !

Madame Galimard
Je l'avais prise pour tout faire, et Mademoiselle refuse de vernir le ceinturon de notre cousin Alexandre, sous prétexte qu'il est militaire.

Galimard
Le ceinturon ! le ceinturon ! que diable ! ce n'est pas l'affaire d'une bonne… c'est l'affaire d'un tambour… Jeannette n'est pas un tambour.

Madame Galimard
Aussi je compte prendre un domestique mâle.

Galimard
Ah ! bah !

Madame Galimard
Je l'attends aujourd'hui… ma tante doit me l'envoyer.

Galimard
Allons bon ! une figure nouvelle ! un jour où j'attends du bois !

Madame Galimard
Justement ! un homme est plus fort… il pourra vous aider.

Galimard
C'est égal !… elle m'allait, moi, cette Jeannette ! j'étais habitué à lui dire : "Jeannette, ma camomille !… Jeannette, ma bourrache !… Jeannette !…" tandis que je vais avoir là un grand gaillard, avec de la barbe… comme moi… qui sera électeur… comme moi… et qui ne votera pas comme moi !… et tout ça pour le ceinturon du cousin Alexandre, que le diable emporte !

Madame Galimard
Monsieur Galimard, parlez avec plus de respect d'un jeune officier de l'armée d'Afrique qui est mon parent.

Galimard
Je n'attaque pas l'armée d'Afrique ; mais c'est très désagréable pour un mari de rencontrer dans tous les coins de sa maison un spahi… et qui te regarde avec des yeux… de spahi !

Madame Galimard
Que voulez-vous dire ?

Galimard
Je n'attaque pas l'armée d'Afrique ; mais je trouve que le semestre du cousin se prolonge bien longtemps… voilà huit mois qu'il dure, le semestre du cousin !

Madame Galimard
Il a obtenu une prolongation.

Galimard
Ca ne serait rien encore, s'il se contentait de prendre ses repas, son absinthe, son café, son petit verre, et caetera, et caetera… Mais il est toujours là, entre nous deux… comme un mur mitoyen.

Madame Galimard
Eh bien ?

Galimard
Eh bien, c'est ennuyeux de ne pouvoir être seuls… qu'à trois !… (Amoureusement.)
Si, au moins, quand la blanche Phoebé…

Madame Galimard
Qu'est-ce que c'est que ça ?

Galimard
La lune ! (Continuant.)
Descend sur l'horizon, vous vous montriez moins cruelle.

Madame Galimard
Ah ! nous y voilà !
Galimard, tendrement.
Caroline ! vous dormez d'un côté, et moi de l'autre !… deux chambres…

Madame Galimard
C'est de bon ton, c'est l'usage chez les gens comme il faut. Vous avez reconnu vous-même que cet arrangement était nécessaire… à cause de votre rhume… Impossible de fermer l'œil… vous toussez !…

Galimard (vivement)
Oui, mais je suis guéri !… je ne tousse plus !… (Tendrement.)
Caroline ! je ne tousse plus… au contraire… maintenant, je soupire… si tu savais comme je soupire !

Madame Galimard
Vous n'êtes pas honteux… à votre âge !

Galimard
L'âge n'y fait rien !… Regarde Ninon de Lenclos !

Madame Galimard
Monsieur Galimard, vous n'êtes qu'un mauvais sujet !

Galimard (la regardant.)
Qu'elle est belle, ma femme !… Ah ! je suis bien fâché de m'être enrhumé cet hiver !

Madame Galimard
Eh bien, qu'attendez-vous là ?

Galimard
Rien ! J'étais venu chercher de l'eau pour ma barbe ; mais, puisque Jeannette n'y est plus…

Madame Galimard (lui prenant la bouillotte des mains.)
Donnez, je vais vous en faire chauffer.
(Elle remonte vers la cuisine.)

Galimard
Caroline ?

Madame Galimard
Quoi ?

Galimard
Rends-moi le petit passe-partout qui ouvre…

Madame Galimard
Laissez-moi ! vous êtes fou.
(Ensemble, Air de la Polka d'Auvergne Lait d'ânesse)

Madame Galimard
Votre santé m'inquiète,
Ma prudence y pourvoira ;
Et je vous mets à la diète
Pour guérir ce rhume-là.

Galimard
Sur ma santé je regrette
Qu'on veille comme cela ;
C'est une trop longue diète
Pour guérir ce rhume-là
(Madame Galimard entre dans la cuisine, au deuxième plan, à droite.)


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