SCÈNE XVII


CRAVACHON, AMELIE, DERVIERES; puis OLYMPE et ANTONIN

AMELIE(à DERVIERES.)
Eh bien! petit, sommes-nous prêt?

DERVIERES
Je suis à vos ordres, monsieur.

CRAVACHON(goguenard.)
Ah ça! nous allons donc nous massacrer, nous tailler en pièces ?

DERVIERES
Les témoins ?

AMELIE
Je viens de prévenir le mien, et dans un instant…

CRAVACHON
Oh! sans le connaître, j'ai mieux que cela à lui offrir… un gaillard solide qui, une fois sur le terrain… (Il appelle.)
Olympe ! Olympe ! (Il monte la scène.)

AMELIE(à DERVIERES.)
Monsieur, entre deux rivaux on se doit de la franchise… me voilà prêt à vous donner toute satisfaction… Mais, avant tout, j'ai un aveu à vous faire… (A CRAVACHON qui s'est approché.)
Pardon… (A Dernières.)
Apprenez que depuis longtemps, (avec fatuité)
je suis au mieux avec Mlle Olympe… depuis longtemps, je porte à ce doigt le gage d'une affection…

DERVIERES
Monsieur! c est une infâme calomnie, et tout votre sang…

CRAVACHON et OLYMPE
(qui entre. )
Qu'y a-t-il donc, messieurs ?

DERVIERES
Votre témoin ?

AMELIE
Le capitaine Doffin.

CRAVACHON
Le prisonnier!… impossible!

AMELIE
Silence dans les rangs!… et lisez. (Elle lui présente un papier.)

CRAVACHON
Que vois-je!… "Ordre de mettre en liberté le capitaine Doffin, reconnu innocent." Le capitaine !

DERVIERES
C'est encore un nouveau prétexte… Finissons !

AMELIE
Je ne me bats jamais sans son consentement.

CRAVACHON
Et pourquoi ça ?

AMELIE
Parce que…

CRAVACHON et DERVIERES
Parce que ?…

AMELIE
Parce que… c'est mon mari.

DERVIERES
Son mari!

CRAVACHON
Comment, vous seriez…

OLYMPE
Mme Amélie Doffin, une de mes bonnes amies. Tu n'aurais pas deviné celui-là, toi, qui as vu le monde !

AMELIE
Et mangé du cheval!

CRAVACHON
Ah! vieux quinze-vingts… Si je m'appelais Napoléon, je donnerais des lunettes à la garde impériale.

DERVIERES(à AMELIE.)
Ah! madame, que d'excuses!

CRAVACHON
Oui! je comprends… vous vouliez voir votre mari à toute force, et… (A OLYMPE.)
Elle est très espiègle, ton amie, très espiègle. (Prenant Dernières, à part.)
Ah ça! dites-moi donc, mon cher… il y a une chose qui m'intrigue depuis longtemps… Quel diable de coup m'avez-vous donc porté ?

DERVIERES(de même.)
Oh! mon Dieu! un coup bien simple… un coup de seconde.

CRAVACHON(de même.)
Ah! que c'est bête! j'aurais dû parer cercle. (Avec solennité, haut.)
Ma fille, voici l'époux que je vous ai choisi.

OLYMPE(à part.)
Ah ! enfin !

CRAVACHON
Et j'espère cette fois avoir eu la main heureuse.

ANTONIN(à DERVIERES.)
Pour vous achever l'histoire de mon oncle… vous savez bien qu'il avait perdu l'ouïe…

DERVIERES(avec complaisance.)
Eh bien ?

ANTONIN
Eh bien! il ne l'a pas retrouvée.

CRAVACHON(à DERVIERES.)
Dites donc, Dervières, si vous étiez bien gentil, vous me feriez répéter ce coup-là, hein ? Avant la nuit, nous avons bien le temps de faire un petit assaut.

DERVIERES
Avec plaisir. (ANTONIN remet à CRAVACHON ses fleurets : celui-ci en donne un à DERVIERES, et se met en garde. En ce moment, OLYMPE, qui a causé bas avec AMELIE, se retourne.)

OLYMPE
Mais, que faites-vous donc ?

CRAVACHON
Ne t'inquiète pas, nous réglons les clauses du contrat. (AIR FINAL des Gants jaunes.)
Il faut bien que je reconnaisse, Avant tout, son identité…Le coup qu'il m'a déjà porté; II me doit cette indemnité. (Au public.)
Soyez, messieurs, de cette affaire Les témoins désintéressés. Grâce à votre concours, j'espère, Que nous n'aurons pas de blessés.

TOUS
Grâce à votre concours, Etc.


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