OLYMPE, CRAVACHON
CRAVACHON(revenant.)
J'ai cru qu'il n'en finirait pas avec ses salamalecs.
OLYMPE(entrant.)
Eh bien! papa, ce jeune homme… ce notaire…
CRAVACHON
Je l'ai remercié poliment.
OLYMPE
Encore!… Vous êtes trop difficile aussi.
CRAVACHON
Tiens! je donne cent mille francs!
OLYMPE
Songez donc, mon petit papa, je me fais vieille… dix-neuf ans!… Et voilà le sixième que vous congédiez… Six! qui en épousent d'autres! si ce n'est pas affreux!… Il n'en restera plus!
CRAVACHON
Puisque je donne cent mille francs, sois donc tranquille. Quand on a un père qui a vu le monde, vois-tu, qui a détrôné des rois… qui a mangé du cheval…
OLYMPE
Oh! là-dessus, vous savez bien que tous les jours j'écoute et j'admire… Mais… (câlinant)
dites donc, petit papa, si vous me les présentiez, peut-être que mes avis…
CRAVACHON
Une entrevue!… il ne manquerait plus que ça!…
OLYMPE
Alors, tâchez qu'ils vous plaisent… Toutes mes amies de pension ont des maris.
CRAVACHON
Tu appelles ça des maris, toi!… tu t'y connais… ce sont des… Ça fait pitié!…Un peu de patience, et nous t'en aurons un… comme je l'entends.
OLYMPE
Et comment l'entendez-vous ?
CRAVACHON
Comment? sacrebleu!… Je voudrais là… un… morbleu!… Voilà l'homme qui te rendrait heureuse!… et je le trouverai…
OLYMPE
Sera-ce bien long ?
CRAVACHON
Est-ce que je sais, moi ?… Tiens, au fait, j'en attends un ce matin de Paris… et tu sais que Paris est le centre des lumières.
OLYMPE
Oui, et des coups d'épée… Vous souvenez-vous, il y a trois mois…
CRAVACHON
Si je me souviens!… Je crois bien, une blessure superbe! ça me fait encore mal!… mais c'est égal, quel beau coup!… On a bien raison de dire : il n'y a qu'un Paris!
OLYMPE
Je suis sûre que c'est encore vous qui aviez tort.
CRAVACHON
Oh! non… cette fois, j'avais été insulté!… mais insulté!… Ah! le digne jeune homme! je ne pense jamais à lui sans plaisir.
OLYMPE
Que vous avait-il fait ? car vous ne m'avez jamais dit…
CRAVACHON
Ce qu'il m'avait fait, le brigand! Tu vas voir. Je sortais du théâtre Feydeau… il faisait un brouillard à ne pas distinguer une vivandière d'un tambour-major… je descendais la rue Vivienne en ruminant à part moi le morceau d'Elleviou que je venais d'applaudir… Elleviou, tu sais ? c'est mon idole!… quand j'entends sur le trottoir, à trois pas devant moi, une voix dans le brouillard, qui écorchait le même morceau. J'avais beau ralentir le pas, ou marcher plus vite, je ne pouvais pas me dépêtrer de ce maudit chanteur! Dame! moi, ça commençait à m'échauffer les oreilles… Il était évident que le particulier y mettait de la méchanceté… Il s'était dit : voilà un bourgeois qui sort de Feydeau… Elleviou est son idole, bon! je vais le taquiner…
OLYMPE
Oh! pouvez-vous croire…
CRAVACHON
Laisse faire, on connaît son monde… Alors, moi, je lui crie : Holà! hé! monsieur! monsieur! chantez autre chose, vous m'ennuyez… Il me répond par un grand éclat de rire!… puis il entame, avec son infernal fausset… quoi? le morceau de Martin… Martin, tu sais? c'est mon idole!… Mille tonnerres! je n'y tenais plus!… Ah! pour le coup, mon oiseau, lui criai-je en le rejoignant, nous allons changer de musique!… Un duel! ça me va, j'ai froid aux doigts, qu'il me répond sans ostentation… Voilà un armurier, je vais chercher des outils… Et il part en chantant ; Malbrough s'en va-t-en guerre, Mironton, ton, ton… Et faux! toujours faux! le gueux!
OLYMPE
II ne pouvait peut-être pas chanter autrement.
CRAVACHON
Ça ne me regarde pas… J'arrête deux fiacres, chacun le nôtre, il revient avecndes épées, nous nous embarquons, et bientôt nous voilà hors Paris, dans la campagne, au milieu d'une belle route, ma foi ! mais il faisait noir… noir!… Mon inconnu fait en un clin d'œil ranger les sapins sur les bas-côtés, il en décroche lui-même les lanternes, et, bon gré mal gré, nos cochers immobiles nous servent à la fois de candélabres et de témoins… à quarante sous l'heure…Nous croisons le fer… Oh! je vis tout de suite que j'avais affaire à forte partie… (S'animant.)
Aussi, comme nous nous comprenions, c'était un plaisir; tous nos coups étaient mutuellement portés et parés… Sans presque nous voir, nous nous devinions dans l'obscurité, et…
OLYMPE
Et vous êtes resté sur la place avec une blessure!
CRAVACHON
Oui, ce cher ami, il m'a désossé l'épaule… (Vivement.)
Mais, je ne m'en plains pas, oh! Dieu!
OLYMPE
Vous lui devez des remerciements, peut-être.
CRAVACHON
Pourquoi pas ? car tous les jours on est blessé… Qu'est-ce qui n'est pas blessé ?… Mais pas comme ça! oh! non! pas comme ça! (Tristement.)
Ah! je ne regrette qu'une chose…
OLYMPE
Quoi donc ?
CRAVACHON
Tu ne le croiras pas… je ne sais pas encore comment il m'a touché… il faisait si noir… Je donnerais dix napoléons pour connaître ce coup-là… car, enfin, je ne me découvre jamais, c'est connu. Est-ce en quarte ? Est-ce en tierce ?
OLYMPE
La belle avance.
CRAVACHON
Tu n'es pas artiste, toi… Ah! si tu l'avais vu, ce brave jeune homme! avec quelle modestie il s'est dérobé à mes félicitations… il est parti, là, tout bonnement comme le premier venu… Je l'ai à peine vu, ce garçon-là, il me serait impossible de le reconnaître… (Regardant la pendule.)
Diable! déjà dix heures! et moi qui suis témoin dans une affaire !
OLYMPE
Encore!
CRAVACHON
Oh! presque rien… des commerçants, des mazettes! des pékins!
OLYMPE
C'est toujours la même chose; quand vous ne vous battez pas, vous faites battre les autres !
CRAVACHON
II faut bien s'occuper… et prouver à l'Empereur que je ne suis pas encore un invalide, bien qu'il ne me juge plus bon qu'à faire un geôlier… Oh ! je lui en veux!… Moi, le major Cracachon, moi qui l'ai aidé à gagner la bataille de Marengo, m'employer à garder des prisonniers d'Etat, des conspirateurs!
OLYMPE
De mauvaises têtes comme vous… et que pourtant vous traitez avec une rigueur…
CRAVACHON
Ah! dame! je ne connais que ma consigne, c'est vrai.
OLYMPE
Jusqu'à empêcher ces pauvres détenus de communiquer avec leurs femmes, leurs filles, leurs sœurs… Si ce n'est pas affreux!
CRAVACHON
C'est l'ordre de l'Empereur… il ne veut pas que les femmes entrent ici… faut croire qu'il a ses raisons pour ça… Pour lors, bon, très bien, assez causé… (Allant décrocher les fleurets.)
Voyons, mes fleurets… Toi, tu vas rentrer dans ton appartement… Si le prétendu en question arrivait, je veux l'examiner le premier… Allons, sois bien raisonnable. (AIR )
Adieu, tâche de distraire. Adieu, rentre chez toi, ma chère, Je m'en vais au plus tôt régler cette affaire ! Après ce rendez-vous d'honneur, Je ne veux m'occuper que de ton bonheur.
ENSEMBLE CRAVACHON
Adieu, Etc.
OLYMPE
Oui, je rentre chez moi, mon père, Quant à vous, terminez vite cette affaire; Après ce rendez-vous d'honneur, II ne faut s'occuper que de mon bonheur.
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...