OLYMPE; puis AMELIE
OLYMPE(s'arrangeant vivement devant une glace.)
II va venir… vite! vite!… Bon! mes cheveux qui s'en vont! Ah! mon Dieu! il ne voudra jamais m'épouser dans cet état-là… Le voici… tenons-nous droite.
AMELIE(en uniforme de lieutenant de hussards.)
Mademoiselle…
OLYMPE(à part.)
Je rougis, je rougis, comment faire ? (Ils se saluent tous les deux.)
Monsieur… (A part.)
Un militaire!… tenons-nous encore plus droite.
AMELIE
Excusez, mademoiselle, la liberté que j'ai prise…
OLYMPE
II n'y a pas de mal… Croyez, au contraire, monsieur, que… je suis flattée…
AMELIE(riant aux éclats.)
Ah! ah! ah!
OLYMPE(à part.)
II rit!
AMELIE
Ah ça! tu ne veux donc pas me reconnaître ?
OLYMPE
Amélie !… Ah! quel dommage!
AMELIE
Comment ?
OLYMPE
Quel bonheur! veux-je dire! Comment, c'est toi… tu m'as fait une peur… Embrassemoi donc!…
AMELIE(l'embrassant.)
Cette chère petite Olympe !… Nous ne nous sommes pourtant pas revues depuis la pension. Mais je suis loin de t'avoir oubliée! Tiens, cette bague qui me vient de toi, je ne l'ai jamais quittée.
OLYMPE
Bonne Amélie ! mais pourquoi ce déguisement ?
AMELIE
Pourquoi ? oh! c'est un grand secret… Une bien grande audace… mais tu ne me trahiras pas… tu m'aideras au contraire… M. Cravachon peut-il nous entendre ?
OLYMPE
Non… Mais d'où vient ce mystère ?
AMELIE
Ecoute… Mon mari… car je suis mariée…
OLYMPE(à part.)
Encore une!
AMELIE
Mon mari, M. Doffin, compromis dans une prétendue conspiration contre l'Empereur, a été arrêté, il y a huit jours, et conduit ici, dans la citadelle commandée par ton père.
OLYMPE
Ah! mon Dieu!… tu as un mari sous clé!
AMELIE
Et tu sais qu'un ordre impitoyable, mais motivé par quelques abus, ferme depuis un certain temps l'entrée de cette forteresse, de cette prison, à toutes les femmes quelles qu'elles soient… Pourtant, je ne pouvais abandonner ainsi mon mari.
OLYMPE
Je crois bien!
AMELIE
Pendant que des amis puissants sollicitent à Paris son élargissement, j'ai voulu à toute force le voir, lui parler…
OLYMPE
C'est si naturel!
AMELIE
Mais comment faire ? J'espérais d'abord que le titre de ton ancienne amie pourrait aplanir la difficulté… mais bientôt la réputation de l'inflexible commandant vint m'ôter tout espoir…
OLYMPE
Alors ?
AMELIE
Alors j'ai pris un parti extrême, violent… J'ai pris les habits de mon frère l'officier, et, sous cette enveloppe, je viens affronter la consigne du major et solliciter mon laissez-passer. (AIR. )
S'il apprend que pour sa maîtresse. Gagnant ensemble tous leurs grades, Depuis longtemps mon frère et mon mari Sont bien connus pour d'anciens camarades. Sans crainte donc, je me présente ici, Sous le costume et le nom d'un ami. Dans mon stratagème j'espère, Car l'amour triomphe à moitié, Quand il a pour habit de guerre L'uniforme de l'amitié.
OLYMPE
Pourvu que papa Cravachon se laisse prendre à la ruse… Voyons, tourne-toi, que je t'examine. (Elle la fait tourner autour d'elle.)
Là… marche un peu… encore… Eh bien! ce n'est pas trop mal… tu peux faire illusion.
AMELIE
Ma foi, j'ai confiance. Ton père ne m'a jamais vue, et pour peu que je fasse honneur à mon uniforme…
OLYMPE(confidentiellement.)
Entre nous, je t'avouerai que je n'en suis pas contente du tout de papa Cravachon… mais du tout, du tout!
AMELIE
Que veux-tu dire ?
OLYMPE
Enfin, ma chère, en me regardant, certainement on le voit tout de suite, je suis bien d'âge… Eh bien, pourtant, je crois qu'il ne veut pas me marier.
AMELIE
Quel enfantillage!
OLYMPE
Je parle très sérieusement… car enfin, je suis demandée de tous côtés; c'est incroyable… chacun veut m'épouser.
AMELIE(souriant.)
Ça ne m'étonne pas du tout.
OLYMPE
Moi, je ne demande pas mieux… mais lui ne veut pas… Mes prétendus, on me les cache… ensuite, mon père s'enferme avec eux… là… (Elle montre la première porte à gauche.)
Je ne sais pas ce qui se dit… mais ce doit être affreux!… car ils partent tous, et l'on n'entend plus parler d'eux.
AMELIE
Au fait, c'est étrange !
OLYMPE
C'est abominable! Quelquefois, j'écoute à la porte… c'est mal, mais c'est par raison.
AMELIE
Eh bien ?
OLYMPE
Je n'entends rien… Seulement, papa fait la grosse voix comme un bourdon, l'amoureux disparaît et je continue à rester fille.
AMELIE
Pauvre enfant!… Ça ne peut pourtant pas durer ainsi !
OLYMPE
Je crois bien que ça ne peut pas durer ainsi!…
AMELIE
II faudrait savoir… Mais j'y pense… je ne peux voir mon mari que demain… après deux heures on n'entre plus… d'ici là, je puis m'occuper de toi, de ton bonheur… Je vais demander ta main à ton père.
OLYMPE
Toi!… mais pas du tout!
AMELIE
Eh bien! voyons, n'as-tu pas peur que je t'épouse ? De cette façon, j'aurai avec lui cette entrevue si mystérieuse, si redoutable, et…
OLYMPE
Eh bien! oui… mais comment?
AMELIE
Le meilleur moyen de prouver que je suis un homme, c'est de vouloir épouser une jolie personne comme toi… Je suis ton nouveau prétendu.
OLYMPE
Toi ? Mais prends bien garde !
AMELIE
Moi prendre garde!… (Elle s'avance menaçante sur OLYMPE, qui recule effrayée.)
Un militaire, un officier, un hussard! Maintenant, du papier, une plume… (Elle va à la table placée à droite.)
OLYMPE
Que vas-tu faire ?
AMELIE
Je vais écrire à ton père… J'ai mon idée… ce sera court, mais nerveux! (Elle écrit.)
OLYMPE
Comme nous allons nous amuser! (Elle sonne. ANTONIN entre.)
Antonin, préparez tout de suite pour Monsieur la chambre verte.
ANTONIN
Oui, mademoiselle. (Il sort à droite.)
AMELIE
Tiens, voici ma lettre… Trois lignes d'éloquence. (Lisant.)
"Monsieur, je suis gentil, bien tourné, jeune et hussard; j'aime Mlle votre fille, je vous demande sa main… Causonsen! NOTA. Je suis pressé, corbleu !"
ANTONIN(rentrant.)
Mademoiselle, la chambre est prête.
OLYMPE
C'est bien.
AMELIE(à ANTONIN.)
Mon garçon, tu vas remettre cette lettre à M. Cravachon.
ANTONIN
Ça suffit.
AMELIE
Tout de suite, entends-tu ?
ANTONIN(se rangeant pour la laisser passer et saluant militairement.)
Oui, mon lieutenant.
AMELIE(passant.)
A la bonne heure, corbleu!
OLYMPE(passant à son tour devant ANTONIN.)
A la bonne heure, corbleu!
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...