La dame au petit chien
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LA DAME AU PETIT CHIEN - Scène XIII

Eugène Labiche

LA DAME AU PETIT CHIEN - Scène XIII


ROQUEFAVOUR, PUIS ERNESTINE, PUIS DEFONTENAGE.

ROQUEFAVOUR
Ça s'arrange très bien… le mari part, la femme reste.

ERNESTINE (entrant de gauche, elle travaille à une tapisserie.)
Vous êtes seul, je vous croyais avec mon mari.

ROQUEFAVOUR
Il me quitte à l'instant. Je crois qu'il va partir pour les eaux d'Aix.

ERNESTINE
Comment ! M. Defontenage…

ROQUEFAVOUR
Il a au coude une mauvaise douleur… Je l'ai adressé à un de mes amis, le docteur Dardonneau.

ERNESTINE
Mais je ne vois pas…

ROQUEFAVOUR
Comme Dardonneau est un médecin des eaux d'Aix… naturellement il envoie là-bas tous ceux qui viennent le consulter.

ERNESTINE (riant.)
Quelle folie !

ROQUEFAVOUR
Nous allons rester seuls… tous les deux !

ERNESTINE
Tous les trois.

ROQUEFAVOUR
Comment ! tous les trois ?

ERNESTINE
Eh bien ! Edmond ?

ROQUEFAVOUR
C'est juste ! pauvre ami ! (Reprenant.)
Je serai toujours là… près de vous… soumis à vos moindres désirs.

ERNESTINE
Je viens de le voir… il va mieux.

ROQUEFAVOUR
Qui ça ?

ERNESTINE
Eh bien ! Edmond !

ROQUEFAVOUR
Ah ! tant mieux ! pauvre ami ! (Reprenant.)
Soumis à vos moindres désirs… Je n'existerai plus que pour vous et par vous.

ERNESTINE
Sa patte est beaucoup moins enflée, je l'ai fait bassiner avec de la guimauve.

ROQUEFAVOUR (à part.)
On dirait qu'elle le fait exprès… Attends… je vais t'en guérir de ton Edmond. (Haut.)
Si vous le voulez, nous passerons toutes nos journées à son chevet.

ERNESTINE
Au chevet de qui ?

ROQUEFAVOUR
Au chevet d'Edmond !… Ah !… quel ami vous avez là, madame, et quel cœur ! quelle âme !

ERNESTINE
Certainement.

ROQUEFAVOUR
Et ses yeux ! avez-vous remarqué ses yeux ?

ERNESTINE
Les yeux de mon chien… Cette question!

ROQUEFAVOUR
Que de douceur ! que de malice ! que de tendresse dans ce regard ! Quant à moi, je n'en connais pas de plus jolis sous le ciel !

ERNESTINE
Vous êtes poli !

ROQUEFAVOUR
Je dis ce que je pense, madame.

ERNESTINE (PIQUÉE.)
Parlons d'autre chose… Vous êtes peintre, monsieur ?

ROQUEFAVOUR
Oui, madame… et je remercie le ciel de m'avoir accordé un peu de talent… je ferai son portrait, d'abord.

ERNESTINE
Comment !

ROQUEFAVOUR
Oh ! je ferai le vôtre après.

ERNESTINE (avec dépit, cassant le fil de sa tapisserie.)
Je vous remercie… c'est vraiment fort galant.

ROQUEFAVOUR
Toute ma crainte, c'est de ne pouvoir rendre cette expression fine et distinguée, ces formes aristocratiques, ce je ne sais quoi qui charme et qui transporte.

ERNESTINE (remerciant.)
Ah ! monsieur !

ROQUEFAVOUR
Je parle d'Edmond, madame.

ERNESTINE (éclatant.)
Et moi, monsieur, je vous dis qu'Edmond est une bête affreuse qui a des petits yeux, un gros ventre et des oreilles bêtes.

ROQUEFAVOUR
Madame.

ERNESTINE
Assez ! si vous m'en parlez encore, je le donne à mon concierge.
(Elle s'assoit sur le canapé.)

ROQUEFAVOUR (à part.)
C'est fait… j'ai coulé mon rival !… Tiens, elle entre dans mon salon.

DEFONTENAGE (passant sa tête par la porte du fond à Roquefavour.)
C'est moi, j'ai cru entendre parler.

ROQUEFAVOUR (courant à lui et masquant le canapé en développant la dernière feuille du paravent.)
Oui… je suis avec quelqu'un.

DEFONTENAGE
Avec une femme.

ROQUEFAVOUR
C'est ma tante… une bonne vieille, qui est venue de Vaugirard à pied.

DEFONTENAGE
Je vous dérange… pardon… pardon…
(Il disparaît.)

ROQUEFAVOUR (à part.)
II est parti ! (S'approchant d'Ernestine.)
Est-ce que je vous ai déplu?… on dirait que vous êtes fâchée.

ERNESTINE
Non… mais vous avez des enthousiasmes si ridicules. (Lui faisant une place.)
Asseyez-vous donc…

ROQUEFAVOUR (s'asseyant et remerciant.)
Ah ! madame… (À part.)
C'est la place d'Edmond… (Haut.)
Madame, voulez-vous me permettre une question?

ERNESTINE
Laquelle ?…

ROQUEFAVOUR
Aimez-vous beaucoup M. votre mari…

ERNESTINE
Par exemple ? vous êtes curieux…

ROQUEFAVOUR
Si je vous le demande, c'est que cela m'intéresse.

ERNESTINE (changeant la conversation.)
J'ai cassé ma laine… ayez l'obligeance de me donner un écheveau… là, sur ma table à ouvrage…

ROQUEFAVOUR (se levant et allant prendre la laine sur le meuble du fond, à gauche.)
Tout de suite, madame…

DEFONTENAGE (entrouvrant la porte et passant la tête, bas.)
C'est encore moi, j'ai besoin d'un papier.

ROQUEFAVOUR (allant vivement à lui.)
Tout à l'heure… ma tante est encore là !…

DEFONTENAGE
Pardon… pardon… (À part.)
Je voudrais bien la voir, sa tante…
(Il disparaît.)

ROQUEFAVOUR (à part.)
Il est indiscret !

ERNESTINE
Eh bien ! trouvez-vous ?

ROQUEFAVOUR (s'approchant d'Ernestine avec l'écheveau de laine.)
Madame, voici votre laine… (La passant dans ses mains.)
Et voilà le dévidoir.

ERNESTINE
Comment ! Vous !…

ROQUEFAVOUR
Dévidoir perfectionné… se pliant, s'agenouillant. (Il se met à genoux.)
Et faisant au besoin la conversation des dames…

DEFONTENAGE (paraissant par la porte de gauche.)
J'ai fait le tour par ce cabinet… Je suis curieux de voir sa tante… Si elle voulait payer pour lui…(Frappant.)
Peut-on entrer ?


LA DAME AU PETIT CHIEN - Scène XIII

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