Verdinet
(montrant le petit paquet.)
Des meringues à la pistache que j'apporte à ma femme… C'est sa passion… Les meringues et moi, voilà tout ce qu'elle aime. Aussi, tous les jours, en sortant de la Bourse, j'entre chez Julien… le pâtissier du Vaudeville… et l'on peut me voir, entre quatre et cinq, avec ma ficelle au bout du doigt… Par exemple, c'est la première fois que je voyage avec cette frêle pâtisserie… ce n'est pas précisément commode… Je tiens cela à la main depuis Paris… je n'ai pas fermé l'œil… Cependant, à Mont-de-Marsan, je crois que je me suis oublié un moment… j'ai bien peur de m'être endormi dessus… Voyons un peu…
(Il ouvre avec précaution un coin de papier pour s'assurer du dégât.)
Hector
(entrant par le fond à droite, et à part.)
Mariée !… elle est mariée ! Au moment où je me disposais à faire ma demande, j'ai appris que nous allions à la poste chercher une lettre de son mari.
Verdinet
(à part.)
J'ai positivement dormi… Il y en a une douteuse. (Il pose ses meringues sur la table. Apercevant Hector.)
Eh ! mais… je ne me trompe pas… M. Hector de Marbeuf, mon client !…
Hector
M. Verdinet, mon agent de change !
(Ils se serrent la main.)
Verdinet
Ah ! si je m'attendais à vous rencontrer dans les Pyrénées…
Hector
Et moi donc ! (Il pose son chapeau sur les meringues.)
Comme on se retrouve !… Qu'est-ce qu'on fait à Paris ?
Verdinet
On fait 69 70.
Hector
Toujours agent de change ?
Verdinet
Toujours !… Parlez, j'ai mon carnet.
(Il le tire de sa poche.)
Hector
Comment ! d'ici ?
Verdinet
Par le télégraphe… Nous disons deux cents Saragosse ; on lutine beaucoup les Saragosse, en ce moment.
Hector
Oh ! merci : je n'ai pas le cœur aux affaires : je suis amoureux.
Verdinet
Amoureux ! (Remettant son carnet dans sa poche.)
Rien à faire !
Hector
Je n'ai pas de chance !… celle que j'aime est mariée…
Verdinet
Eh bien, ça vous arrête ?
Hector
Dame !
Verdinet
Moi, ça ne m'arrêtait pas… Au contraire !… J'avais la spécialité des femmes mariées… quand j'étais garçon.
Hector
(riant.)
Vraiment ?
Verdinet
Ah ! J'étais un fier bandit, allez !… le bandit Verdinet !… Mais, maintenant, j'ai engraissé, je suis au parquet, je ne marivaude plus… qu'avec les Saragosse ! Vous n'y mordez pas ? Bonsoir !
(Fausse sortie.)
Hector
(le retenant et lui offrant une chaise.)
Un instant, que diable !… Peut-on demander à M. Verdinet… au bandit Verdinet, quelle arme il employait pour dévaliser les maris ?
Verdinet
Eh ! je ne sais pas si je dois…
Hector
Pourquoi ?
Verdinet
Au fait… un client… (Ils s'asseyent.)
D'abord, mon cher ami, quand vous voulez vous faufiler dans un ménage, ne vous présentez jamais comme garçon !
Hector
Vraiment !… Pourquoi ça ?
Verdinet
Voyez-vous… les maris ne connaissent qu'un ennemi… le célibataire… l'affreux célibataire ! Dès qu'il paraît, on ferme les portes, on lève la herse et l'on crie sur toute la ligne : "Sentinelles, prenez garde à vous !…" Tandis qu'un homme marié… c'est un confrère, un allié ; moi, j'étais toujours marié depuis six mois.
Hector
C'est très joli… Mais, quand on demandait à voir madame Verdinet…
Verdinet
Ah ! c'est là que mon triomphe commençait ! Je m'élevais véritablement à la hauteur de Machiavel ! Je rougissais… je balbutiais… et je finissais par avouer, en demandant le secret, que ma femme, la malheureuse… oubliant ses devoirs et ses serments…
Hector
Hein ?
Verdinet
Avait déserté le toit conjugal par un jour d'orage !…
Hector
Comment ! vous vous donniez pour un mari ?…
Verdinet
Complètement ! Ah ! dame, il faut du courage. Alors, il se passait dans le ménage que j'attaquais deux phénomènes très curieux… Le mari devenait très gai, il pouffait de rire en me regardant… les maris sont étonnants pour rire de cela !
Hector
Et la femme ?
Verdinet
La femme prenait des teintes sérieuses… elle me regardait d'un air singulier qui voulait dire : "Pauvre garçon ! si jeune ! le voilà seul, abandonné, son ave nir est brisé…" Moi, je poussais d'énormes soupirs ; il ne faut pas oublier ça ! Pour l'un, j'étais comique ; pour l'autre, intéressant. J'avais besoin d'être consolé… et, comme les femmes ont par-dessus tout l'instinct de la consolation…
Hector
Mais c'est très fort, cela !
Verdinet
Tiens ! si vous croyez que les agents de change sont des imbéciles ! (Riant.)
Je me souviens encore de ma dernière expérience… je l'ai pratiquée sur un notaire…
Hector
(riant.)
Oh ! un notaire !… Vous ne respectez rien !
Verdinet
J'étais à Plombières… Il y a trois ans… juste un an avant mon mariage… Je m'ennuyais à boire de l'eau… lorsqu'un jour, je rencontrai au bras du dit notaire une petite femme… très gentille, ma foi !… une brunette avec des yeux bleus et des mains rouges… Ah ! par exemple, les mains rouges… me taquinaient !… Mais, en voyage… Le mari était jaloux, ombrageux… à ce point que, pour rompre la glace, je fus obligé de corser mon petit mélodrame conjugal… Je lui avouai que je m'étais appliqué cinq coups de couteau et treize gouttes de laudanum pour ne pas survivre à mon infortune !… Il ne tarda pas à me prendre en amitié… et, quinze jours après, il m'appelait Edmond… et sa femme aussi ! Il m'obligea à venir habiter le même hôtel que lui, nous mangions ensemble, nous nous promenions ensemble… et sa femme aussi !… Il organisait des parties de plaisir pour me distraire… car il était bon, cet homme !… mais il ne savait pas monter à cheval… il nous suivait de loin… sur un âne… en portant les châles et les ombrelles…
Hector
(riant.)
C'était le tiers porteur !
Verdinet
Ah ! très joli !… Au bout de deux mois, je voulus partir… Impossible ! Il trouvait que je n'étais pas assez consolé… et sa femme aussi ! Il voulait m'emmener chez lui, à sa campagne.
Hector
Qu'avez-vous fait ?
Verdinet
(se levant, ainsi qu'Hector.)
Je m'en suis débarrassé en lui donnant mon adresse… une fausse adresse… et je n'en ai plus entendu parler !
Hector
Ma foi ! j'ai bien envie d'essayer de votre recette… qu'est-ce que je risque ?
Verdinet
Marié et trompé ! tout est là !
Hector
Adieu !
Verdinet
Vous sortez ?
Hector
Je vais boire mon second verre d'eau. (À part.)
Je cours rattraper ces dames !
(Il prend son chapeau, qu'il avait posé sur les meringues, et sort vivement par le fond à gauche.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...