ACTE I - Scène V

Mapipe
Un avocat ! Un avocat!

Le président
Eh! là! Eh! là! Pas tant de bruit, s'il vous plaît!

Mapipe
Trois remises, messieurs et dames!… Trois remises!… Un mois que je suis en prévention!

Le président
Taisez-vous! Quant à un avocat…

Mapipe
Et remarquez que je l'avais fait bénir!… Celait du cresson bénit.

Le président
Quant à un avocat!…

Mapipe
Du cresson bénit, c'est pus comme de la salade.

Le président
Quant à un avocat, dis-je, le tribunal va vous en désigner un d'office. Maître Barbemolle !

Barbemolle (se levant.)
Monsieur Le président ?

Le président
Le tribunal, rendant hommage à vos mérites ainsi qu'à votre éloquence, vous charge des intérêts et de la défense du prévenu.
(Barbemolle salue.)

Le président
Le renvoi à plus tard qu'a sollicité de nous l'honorable M. Tirmouche, vous mettra en mesure d'étudier l'affaire avec tout le soin qu'elle mérite. Mapipe !

Mapipe
Qu'est-ce qu'il a fait, Mapipe ?

Le président
J'ai une nouvelle à vous apprendre. Des circonstances indépendantes de sa volonté ont déterminé le tribunal à ne pas vous entendre aujourd'hui. L'affaire est remise à huitaine.

Mapipe
Encore!… Une quatrième remise! Ah ça! Vous vous payez ma gueule !
Le président (à Barbemolle)
Maître, dans son intérêt même, engagez donc votre client à s'exprimer d'une façon plus convenable.

Barbemolle
Je sollicite l'indulgence en faveur de ce pauvre diable. Voilà un mois qu'il est sous…
(Il laisse échapper sa serviette et se baisse pour la ramasser.)

Mapipe (prenant l'auditoire à témoin)
Moi ? Je suis saoul ?…

Barbemolle (achevant sa phrase.)
Sous les verrous, et son impatience légitime en dit plus long pour sa défense que tous les arguments du monde. Au surplus, nous sommes, lui et moi, aux ordres du tribunal. Je me bornerai à faire remarquer qu'il me sera impossible de prendre la parole d'aujourd'hui en huit; je pars lundi pour Carcassonne où je plaide le procès Baloche.

Le président
Fort bien, maître. A quinzaine, alors.

L'huissier (dans l'auditoire, sa toque à la main.)
Je ferai remarquer à mon tour, que, dans quinze jours, ce sera la semaine de la Pentecôte, pendant laquelle les tribunaux ne siègent pas.

Le président
Ah! Diable!…
(Courte réflexion.)
Ma foi, messieurs, nous n'y pouvons rien. A trois semaines!

Le juge Foy de Vaux (avec douceur)
Non!

Le président (surpris)
Pourquoi ?

Le juge Foy de Vaux
J'ai sollicité et obtenu du Garde des Sceaux un congé de deux mois pour raisons de santé. Or, la loi frappe de nullité tout jugement rendu par un tribunal composé d'autres magistrats que ceux ayant siégé à la première audience.

Le président
C'est rigoureusement exact. Eh bien, mon cher collègue, nous attendrons votre retour pour statuer sur l'affaire Mapipe :.

Mapipe
Ce qui nous renvoie en août.

Le président
Oui!… Et encore non; je me trompe. Août c'est l'époque des vacances.

Barbemolle
Renvoyons après vacations.

Le substitut
Il n'y a que ça à faire.

Le président
Mon Dieu, oui !
(Consultant ses assesseurs.)
Hé? Hé? Haut. Après, vacation!… Emmenez, gardes !

Mapipe (emmené par les municipaux)
Cré bon Dieu de bonsoir de bon Dieu de vingt Dieu de bon Dieu de sacré nom de Dieu du tonnerre de Dieu de bon Dieu!
(Sa voix se perd.)

Barbemolle
Voyons, Mapipe ! Voyons Mapipe ! Ne vous faites donc pas de bile comme ça… Est-ce que je m'en fais, moi ?


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