LES MEMES, moins LE MONSIEUR, HENRIETTE; puis CASSAGNOL, sous le nom de Grand-Bagout.
HENRIETTE (entrant vivement.)
Mon oncle! mon oncle! un nouveau candidat!
PONTCHARRAT
Lequel ?
HENRIETTE
M. Grand-Bagout, de la part de M. Cassagnol.
PONTCHARRAT
Fais-le entrer.
HENRIETTE (à part.)
Pourvu qu'on ne le reconnaisse pas. (A la cantonade.)
Par ici, monsieur, par ici. (Grand-Bagout paraît, il boite, porte un gilet blanc à larges revers, un chapeau, forme tyrolienne, en feutre ras, un habit râpé; il salue le bureau et l'assemblée.)
GRAND-BAGOUT
Citoyens, je suis un enfant d'Épernay.
CRETINOT
Le bureau vous invite à monter à la tribune.
GRAND-BAGOUT (à la tribune.)
Citoyens, ma profession de foi sera courte. Je suis un enfant d'Épernay, mon père est d'Épernay, ma mère est d'Épernay, mes frères sont d'Épernay, et je ne crains pas de le dire, dussé-je m'aliéner vos suffrages, (Avec énergie.)
citoyens, toute ma famille est d'Épernay !
UN INVITE (ne pouvant contenir son enthousiasme)
Bravo !
GRAND-BAGOUT
Je ne m'expliquerai pas davantage sur mes antécédents politiques. Je n'ajouterai plus qu'un mot… ma position de fortune est indépendante… J'accepterai les vingt-cinq francs.
TOUS4
Très bien! très bien!
PONTCHARRAT
Cette déclaration fait honneur à vos sentiments. Quelqu'un a-t-il des interpellations à adresser au candidat ?
CRETINOT (étendant le bras.)
Je demande la parole.
PONTCHARRAT (saisissant le bras de CRETINOT et gesticulant avec lui.)
Citoyens, je ne saurais trop vous engager à diriger principalement vos questions sur la Constitution que nous sommes appelés à nous donner.
CRETINOT
C'est précisément là-dessus…
PONTCHARRAT
Parlez.
CRETINOT
Je demanderai l'opinion du candidat sur la suppression des bonnets à poil… et sur le divorce.
GRAND-BAGOUT
Citoyens, j'ai pour habitude d'aborder de front les questions. On me demande mon opinion sur la suppression des bonnets à poil et sur le divorce. Je répondrai que l'agriculture est la plus noble des professions… Si j'arrive à la Chambre, je me ferai le représentant de la race ovine, bovine et chevaline. Je crois avoir suffisamment répondu à l'interpellation qui m'était adressée.
CRETINOT
Permettez, vous avez répondu… pour les bonnets à poil!… mais pas pour le divorce.
TOUS4
C'est vrai, c'est vrai !
GRAND-BAGOUT
Je vais répondre. Citoyens! la marine mérite tout notre intérêt. Je voterai pour un président. Vive l'agriculture!
CRETINOT
Voilà ce que je voulais lui faire dire… très bien ! très bien !
PONTCHARRAT
Autre question. Êtes-vous républicain ?
GRAND-BAGOUT (avec vigueur.)
Qu'on m'enlève l'épiderme…
PONTCHARRAT
Non, je vous demande si vous êtes républicain.
GRAND-BAGOUT
Eh bien ?… (Reprenant.)
Qu'on m'enlève l'épiderme et sous cette peau de républicain palpitera toujours une chair républicaine!
(On applaudit avec chaleur.)
PONTCHARRAT (lisant un papier.)
Question communiquée. On demande la profession du candidat.
GRAND-BAGOUT
J'ai quarante ans et je suis chauve.
PONTCHARRAT
Votre profession ?
GRAND-BAGOUT
Ah! équilibriste.
PONTCHARRAT
Comment ?
GRAND-BAGOUT
J'ai consacré ma vie à l'équilibre des intérêts sociaux.
PONTCHARRAT (bas à CRETINOT.)
Socialiste.
GRAND-BAGOUT (continuant.)
J'ai consacré ma vie au triomphe de cette formule: l'homme doit vivre en se reposant. Je pose donc un principe : Celui qui travaille…
PREMIER PAYSAN
Est un feignant.
GRAND-BAGOUT
Vous rendez parfaitement ma pensée.
SECOND PAYSAN
Ah çà! si personne ne travaille, qui est-ce qui labourera la terre ?
GRAND-BAGOUT
J'attendais cet argument. Nous aurons des machines.
DEUXIEME PAYSAN
Et pour les vendanges ?
GRAND-BAGOUT
Des machines.
UNE PAYSANNE
Et pour les enfants ?
DEUXIEME PAYSAN
Et qu'est-ce qui fera les machines ?
GRAND-BAGOUT
D'autres machines. La terre ne sera plus qu'une grande famille de machines qui s'engendreront les unes par les autres et de cette façon… je serai très clair. (Avec volubilité.)
En combinant les divers éléments de la production régénérés par les bienfaits de l'association et fonctionnant sous la pression permanente de l'État dont l'impulsion vivifiée par la solidarité garantielle se rattache si essentiellement aux intérêts de l'agriculture, nous touchons à la solution du grand problème…
TOUS5 (avec enthousiasme.)
Bravo! bravo! bravo!
GRAND-BAGOUT (avec modestie.)
Je suis clair, voilà tout.
TOUS5
Très bien! très bien! vive le candidat! (Grand-Bagout descend de la tribune au milieu des félicitations de l'assemblée, et CRETINOT lui serre la main avec effusion.)
PONTCHARRAT
Vous avez été d'une lucidité…
CRETINOT
Surtout à la fin.
GRAND-BAGOUT
Permettez-moi de vous distribuer quelques brochures. (En remettant une à CRETINOT.)
Projet non réalisé. (A un paysan.)
Projet à réaliser. (A un autre.)
Projet en voie de réalisation. (Remettant une petite bouteille à PONTCHARRAT.)
Projet… Ah! non, ça, c'est du vulnéraire suisse… J'en tiens aussi.
PONTCHARRAT
Veuillez vous retirer un moment. Nous allons délibérer sur votre candidature.
GRAND-BAGOUT
J'ose espérer.
TOUS5
Vive le candidat! vive le candidat! (AIR)
Par maints détours (Existence décolorée)
. Oui, notre choix S'arrête Sur sa tête. Cette fois, Nous donnons tous nos voix! Quel éclat Un pareil candidat Jett'ra sur le char de l'État. (Grand-Bagout sort par la gauche en boitant en mesure sur l'air du chœur.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...