LES MEMES, CASSAGNOL, sous le nom du Corinthien; il est habillé avec beaucoup de recherche ; lorgnon à l'œil, gants jaunes, bottes vernies.
TOUS2 (assis.)
Tiens ! un monsieur !
CASSAGNOL (à part.)
Je n'ai pas trouvé de blouse dans ma garde-robe.
PONTCHARRAT (au Corinthien.)
Pardon… mais nous attendions un ouvrier.
CASSAGNOL
Je suis aux ordres de l'assemblée.
PONTCHARRAT
Comment! vous êtes ?…
CASSAGNOL (lorgnant le président.)
Tailleur de pierre.
PONTCHARRAT
Ah! pardon!… je vous prenais pour un diplomate… Veuillez prendre la peine de monter à la tribune.
TOUS2
Oui, à la tribune!… à la tribune!…
CASSAGNOL
Citoyens!… (Toussant.)
Hum! hum! (Il tire une bonbonnière.)
Je vous demanderai la permission de prendre un jujube. Citoyens! fils d'ouvrier, ouvrier moi-même… j'ai toujours manié la pioche et le marteau. Si vous me demandez mes titres à moi, pauvre prolétaire, je vous répondrai en vous montrant ces mains calleuses, (Un paysan qui est à côté de lui se lève et regarde ses mains ; il les cache derrière son dos.)
usées par le travail; ces bras tatoués par la souffrance…
UNE VOIX
dans le fond. Faites-les voir.
TOUS2
Oui, oui, oui.
CASSAGNOL
Ah! que ne puis-je me mettre à nu devant mes frères !
PONTCHARRAT
Le candidat veut-il que le bureau statue ?
CRETINOT
Je m'y oppose au nom de ces dames.
CASSAGNOL
Citoyens! (Il tousse.)
Hum! hum! (Ouvrant sa bonbonnière.)
Je vous demanderai la permission de prendre un second jujube.
CRETINOT (bas à PONTCHARRAT.)
Il en abuse !
PONTCHARRAT (à CRETINOT.)
Je le crois phtisique, ce tailleur de pierre.
CASSAGNOL
Citoyens! je ne suis qu'un pauvre ouvrier… excusez mon langage abrupt, je ne me suis point exercé dans ces brillants tournois de la parole; je n'ai point étudié l'éloquence, cet art si difficile, ars difficilis, comme l'appelle Cicéron.
CRETINOT
Il parle latin… eh bien! il doit mal tailler la pierre.
CASSAGNOL
Travailleurs! je connais vos misères, j'ai sondé vos souffrances, j'ai su les partager, et à moi seul il appartient…
(Il s'arrête et respire un flacon.)
PONTCHARRAT
Que faites-vous donc ?
CASSAGNOL
Permettez que je respire quelques sels.
CRETINOT (avec déférence.)
Oh! l'impôt est aboli.
UN PAYSAN
Ça un ouvrier, excusez!
CASSAGNOL
Pendant ce laps, je vais vous faire distribuer quelques circulaires… (Appelant.)
Domingo! Domingo! (Un petit nègre entre et va se placer à la droite de CASSAGNOL.)
Répandez mes circulaires dans les groupes.
PONTCHARRAT (à part.)
Il possède un nègre.
CASSAGNOL (au nègre qui ne bouge pas.)
Mais va donc!
(Il lui lance un coup de pied.)
CRETINOT
Je demanderai l'opinion du candidat sur l'émancipation des Noirs.
CASSAGNOL
Quelle que soit sa couleur, l'homme est un frère; tendons-lui une main secourable. (Second coup de pied. )
Mais va donc !
(Le nègre distribue des papiers et sort.)
CRETINOT (à part.)
Il appelle ça une main secourable.
UNE VOIX
C'est pas un ouvrier! à bas!
TOUS2
Oui, à bas ! à bas !
PONTCHARRAT
Citoyens, ces doutes sont injurieux pour le candidat… votre bureau ne le partage pas. (A CASSAGNOL.)
Veuillez nous montrer votre livret.
CASSAGNOL (se peignant les favoris.)
Qu'est-ce que c'est que ça ?
PONTCHARRAT
Comment! vous n'êtes donc pas tailleur de pierre ?
TOUS2 (mouvement.)
Non, non.
CASSAGNOL
Permettez… je le fus au sortir du berceau… à l'âge de sept ans… et le serai toujours… de cœur!
TOUS
Ah! ah! ah!
CASSAGNOL
Mon père, ancien notaire…
CRETINOT
Vous nous avez dit qu'il était ouvrier.
CASSAGNOL
Eh bien!… ouvrier notaire.
TOUS2
A bas! à bas!
CASSAGNOL
Mon père ouvrier notaire me fit faire les plus brillantes études, et bientôt je dus entrer à la Cour des comptes en qualités d'ouvrier référendaire.
TOUS2 (se levant avec une explosion de murmures.)
Ah! ah!
CASSAGNOL (se précipitant de la tribune.)
Et ce titre d'ouvrier je n'en rougis pas, il fait ma gloire ! c'est ma noblesse, à moi !
UNE VOIX
C'est un blagueur! à la porte!
TOUS
Oui, oui, à la porte ! à la porte !
(On l'enlève et on le jette à la porte.)
CASSAGNOL (au milieu du hourra général.)
Ma vie tout entière!… fils de mes œuvres… sorti du peuple… c'est à la sueur de mon front… (Au fond.)
Allez au diable!
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...