GAUDRION (FRISETTE.)
FRISETTE(à elle-même.)
Il s'est rendormi!…
GAUDRION(à part.)
C'est elle… attention!…(Il s'avance vers elle son bouquet à la main, le lui présentant gauchement.)
Mademoiselle… si vous voulez permettre… Il est l'emblème de vos vertus.
FRISETTE
Qu'est-ce que c'est que ça ?
GAUDRION
Ça ?… c'est un bouquet. (De même.)
Mademoiselle, si vous voulez permettre… Il est l'emblème…
FRISETTE(riant.)
Ah! ah! ah!…
GAUDRION(riant par imitation.)
Eh! eh! eh!…
FRISETTE
Que vous êtes drôle comme ça!
GAUDRION
Hein ?… je suis ?… (À part.)
Elle se moque de moi… c'est égal, du courage!…(Haut.)
Dites donc, je vais le mettre sur votre cheminée… hein ?… voulez-vous ?
FRISETTE
Des fleurs ! pour moi ?
GAUDRION
Oui… j'ai pensé que ça vous serait agréable de vous trouver en famille.
FRISETTE(étonnée.)
Hein ?
GAUDRION(à part.)
Que c'est embêtant à dire, ces machines-là !… enfin !…
FRISETTE(à part.)
Il devient galant, à présent !
GAUDRION(donnant de l'eau aux fleurs qu'il place brusquement dans le vase qui est sur la cheminée de gauche.)
Là… avec un peu d'eau…
(Il repose la carafe avec bruit.)
FRISETTE
Prenez donc garde !… vous allez réveiller…
GAUDRION(très bas.)
Ah! il redort!… il dort trop!… Ah! voilà un enfant qui dort trop ! C'est égal, il doit être bien gentil comme ça, hein ?
FRISETTE(s'asseyant à droite après avoir pris son métier et travaillant.)
Je crois bien !… Il est rose comme un petit chérubin!…
GAUDRION(à part.)
Ah! mon Dieu! dire que j'ai là, sous clef, un fils… rose… et que…(Prenant une chaise qu'il traîne négligemment jusqu'à une légère distance de Frisette.)
Vous travaillez ?…
FRISETTE
Faut bien faire son état… si je laissais chômer la dentelle… avec quoi le nourrirais-je, c't amour ?
GAUDRION
C'est juste… v'là un nouveau pensionnaire… faut un couvert de plus!
FRISETTE
Ah! ce n'est pas ça qui m'inquiète… parce que, si mes jours ne suffisent pas, je prendrai sur mes nuits donc!
GAUDRION
Sur vos nuits ?… ah! pauvre petite femme! (Il la regarde.)
Tiens! tiens! tiens!… (Haut.)
Eh bien, voulez-vous que je vous dise… c'est très bien, ce que vous avez fait… adopter comme ça une pauvre petite créature… se dévouer pour elle… je n'y avais pas pensé d'abord… mais c'est très bien… c'est… (La regardant encore.)
Tiens! tiens! tiens!
FRISETTE
C'est tout naturel.
GAUDRION
Eh bien, non!… ce n'est pas naturel… (S'asseyant.)
Il y en a d'autres, à votre place et dans votre profession, qui auraient préféré courir les bals, les spectacles, les amoureux… tandis que vous! vous travaillez jour et nuit, sans penser que ça peut vous rendre malade, vous rougir les yeux… avec ça qu'ils sont très jolis, vos yeux!
FRISETTE
Vous trouvez ?
GAUDRION
Oh! oui!… (Rapprochant sa chaise.)
Dites donc!… c'est drôle, tout de même… ce matin, je ne pouvais pas vous regarder en face…
FRISETTE
C'est comme moi.
GAUDRION
Et, maintenant, je le peux… mais je le peux joliment !
FRISETTE
Eh bien, c'est encore comme moi.
GAUDRION
Vrai ? (À part.)
C'est qu'elle est gentille à croquer !… Ah ! çà, j'étais donc un myope, moi, ce matin ?
FRISETTE(à part.)
Comme il me regarde !
GAUDRION(tout à coup.)
Mam'zelle… Je fais une réflexion… Avez-vous quelquefois songé au mariage ?
FRISETTE
Moi ? jamais!
GAUDRION
Eh bien, c'est une bêtise!… (Frisette le regarde.)
Pardon ! une faute… parce que, quand on a de la jeunesse, de la sagesse et de la gentillesse, faut pas garder tout ça pour le roi de… Danemark !… Pour lors faut vous marier !
FRISETTE
Y pensez-vous ?… d'abord, il y a un obstacle…
GAUDRION
Où ça ?
FRISETTE
Mais… là… dans ce cabinet…
GAUDRION(se levant.)
Le bambin ?… et vous appelez ça… ? mais, au contraire, au contraire…
FRISETTE(se levant aussi.)
Comment ?
GAUDRION
Certainement!… parce que les cancans, les ragots… Il y a des gens qui marchent là-dessus, et qui s'en flattent…
FRISETTE
Oui… pour plus tard vous reprocher…
GAUDRION
Ah! fi donc!… Et puis, vrai, là… si vous aimez le petit!…
FRISETTE
Si je l'aime !
GAUDRION
Eh bien, dans son intérêt même… Primo, ça lui donne un père… au premier abord, ça ne semble rien… mais c'est très utile dans la société… quand il sera grand, pour faire son chemin, faut un nom… sans ça, on végète, on vous regarde comme ça!…
FRISETTE(réfléchissant.)
C'est pourtant vrai!
GAUDRION
Et puis vous ne pouvez l'élever toute seule… ce n'est pas pour vous humilier, mais… une ouvrière… ça ne gagne pas… épais…
FRISETTE(fièrement.)
J'ai des journées de deux francs, monsieur !
GAUDRION
Là ! vous voyez bien !… deux francs !… une heure de fiacre !… v'là-t-y pas le Pérou !… Je vous défie bien avec ça de produire, dans le monde, autre chose qu'un raccommodeur de faïence !…
FRISETTE
Ah! pauvre enfant!
GAUDRION
Tandis qu'en unissant son petit magot à celui d'un autre, d'un bon ouvrier… p'têtre ben qu'un jour on pourrait donner au mioche un métier choisi… conseiller d'Etat ou dentiste.
FRISETTE
Vous avez peut-être raison.
GAUDRION
Je crois ben!… du reste, je vous dis ça, moi… c'est pas un motif pour vous jeter à la tête du premier venu… Mais, si vous trouviez par hasard, sur vot' chemin, un de ces bons garçons, tout francs, tout ronds, avec un bon état… eh ben, faudrait le prendre… Mam'zelle… c'est une occasion… faudrait le prendre.
FRISETTE
Dame! je verrai… je réfléchirai…
GAUDRION (:)
C'est ça!… voyez, réfléchissez… Moi, je cours chez le bourgeois chercher ma semaine… je suis à sec!… Et puis, en même temps, j'ai une idée… une bonne idée… Adieu, mam'zelle Frisette, nous recauserons de ça.
FRISETTE
Adieu, monsieur… monsieur ?…
GAUDRION
Ah ! mon nom ?… plus tard, je vous le dirai plus tard… oui, j'ai des raisons… des raisons… politiques… À bientôt, mam'zelle, à bientôt! (À part.)
Ah! je suis pincé!
(Il sort par le fond.)
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