CORYDON (entrant vivement par le fond)
Voilà la robe! j'ai la robe! C'est égal, il faut avoir un certain toupet… elle était seule… la Mazure, à sa toilette… tout à coup je débouche dans sa chambre… elle me voit entrer en bras de chemise, et elle s'écrie : Ah! Corydon!… je lui réponds : Ah! Clotilde !…. et pouf… elle s'écroule… j'y comptais… Sans perdre un instant, je prends la robe qu'elle allait passer… je prends la porte… je prends l'escalier et me voilà… Eh bien! pour son âge, elle a de jolis détails, cette veuve Mazure… Attention… je crois entendre mam'zelle Linotte… n'ayons pas l'air. (Il cache la robe derrière son dos.)
LINOTTE (entrant avec l'habit)
C'est lui! je vous attendais… (Elle cache l'habit de même.)
CORYDON
Moi, je vous cherchais…
(AIR du 2e acte d'Habit, veste et culotte.)
J'ai voulu vous prouver mon zèle Et bientôt vous pourrez sortir.
LINOTTE
Où votre désir vous appelle, Oui, bientôt vous pourrez courir.
CORYDON
Mais mon habit est chez ma tante.
LINOTTE
Mais ma robe, hélas! est absente.
CORYDON
Qu'importe.
LINOTTE
Ça m'est bien égal.
(CORYDON et LINOTTE montrent, l'un la robe, l'autre l'habit.)
ENSEMBLE
Celui-ci /Celle-là n'vous ira pas mal.
CORYDON(Parlé.)
— Ah! bah! c'en est un. (Il prend l'habit.)
LINOTTE(Parlé.)
— Est-il possible! c'en est une. (Elle prend la robe.)
ENSEMBLE
Des mauvais jours Egayons le cours ; D'un chagrin frivole L'amitié console; Comme un omnibus Qu'on n'attendait plus, L'bonheur vient souvent Au dernier moment.
LINOTTE(Parlé.)
— Ah! c'est gentil! (Etalant sa robe.)
Mais comment avez-vous fait pour vous procurer cette robe ?
CORYDON
Cette robe ? (A part.)
Allons! il n'y a qu'une forte colle qui puisse me tirer de là.(Haut tragiquement.)
Je les ai vendus, Linotte!
LINOTTE
Quoi ?
CORYDON
Les diamants de ma famille!… accumulés depuis vingt générations!… j'en ai eu pour dix-sept francs, cet article a beaucoup baissé.
LINOTTE
Généreux ami !
CORYDON (avec jalousie)
Mais vous-même… où avez-vous pêché ce costume masculin ?
LINOTTE
Moi ? (A part.)
Impossible de lui dire que j'ai déshabillé un pharmacien. (Haut, tragiquement.)
Je me suis décidée à la négocier, jeune homme.
CORYDON
Quoi ?
LINOTTE
L'épée de mon vieux père!… elle était sans tache!
CORYDON
Et vous l'avez lavée!… Ah! Linotte!
LINOTTE
Il le fallait bien, puisque, de cet habit, dépendait tout votre avenir.
CORYDON
Oui, j'avais un rendez-vous à huit heures.
LINOTTE
C'est comme moi!
CORYDON
Il s'agissait d'un mariage…
LINOTTE
Tiens! c'est comme moi!
CORYDON
Comment! vous vous mariez?… Ah! mademoiselle! c'est bien mal… je n'aurais jamais cru ça de vous.
LINOTTE
Mais il me semble que vous-même…
CORYDON
Oui, ce matin… je ne dis pas… mais depuis que je vous ai vue… Ah! quand je pense à vos qualités… à vos laits de poule… il me prend des envies rouges d'envoyer ma prétendue… faire lanlaire!
LINOTTE (à part)
Pauvre garçon! (Haut.)
Dites donc, si j'en faisais autant de mon futur ?
CORYDON
Ah! voilà une idée bouffonne… Pas pour lui ! Linotte, dans ces sortes de circonstances, on ne saurait mettre trop de procédés… Passez votre robe; moi, mon habit… et allons leur signifier d'avoir à nous ficher la paix. Ah! où demeure-t-il le vôtre ?
LINOTTE
Rue de Richelieu.
CORYDON
Tiens! comme la mienne.
LINOTTE
N° 24.
CORYDON
Tiens ! comme la mienne !
LINOTTE
Chez M. Sainte-Foy.
CORYDON
Juste! Ah! mais! ah! mais! (La toisant.)
Est-ce que vous seriez par hasard la jeune duchesse moscovite dont on m'a tant parlé ?
LINOTTE (le toisant)
Attendez donc… seriez-vous d'aventure le prince polonais qu'on m'a tant fait mousser ?
CORYDON
Soixante mille roubles… énormément de platine… et dix-huit mille paysans… c'était l'apport de la dame…
LINOTTE
Un château sur le Volga… Vingt mille têtes de mérinos et cinquante lieues de forêts vierges… c'était le patrimoine du monsieur…
CORYDON
Le tout, moyennant quarante francs.
LINOTTE
Prix net de la première entrevue. (Tous deux rient aux éclats.)
CORYDON
Eh bien! mais dites donc… elle a eu lieu l'entrevue… Ce n'est pas la peine de nous habiller.
LINOTTE
C'est vrai… elle a eu lieu… Ça fait quatre-vingts francs que nous gagnons, à nous deux.
CORYDON
Mam'zelle Linotte… ça ne peut pas durer comme ça… quand on gagne tant d'argent, sans se donner plus de mal, c'est le moment d'entrer en ménage. Voulez-vous ma main ?
LINOTTE (riant)
Ah! ah! ah! elle est bonne!
CORYDON (sérieux)
Ne rions pas, je vous l'offre.
LINOTTE
Sans farce ?
CORYDON (avec une solennité comique)
Devant le firmament.
LINOTTE
Au fait, ça serait drôle… il y a tant de gens qui se marient parce qu'ils sont riches…
CORYDON
Pourquoi donc ne verrait-on pas, par-ci par-là, deux honnêtes pannés qui se marient parce qu'ils n'ont pas le sou ?
LINOTTE
Parce qu'ils se sont entraidés dans leur débine.
CORYDON
Parce qu'ils se sont appréciés… dans leur négligé.
LINOTTE
A propos, comment vous appelez-vous ? je ne serais pas fâchée de savoir sous quelle étiquette je dois exister.
CORYDON
On m'appelle Corydon.
LINOTTE
Tiens ! c'est un nom de berger !
CORYDON (baissant la main à hauteur d'enfant)
Dites donc… nous tâcherons de former un petit troupeau…
LINOTTE (l'arrêtant)
Chut!… Tope là, mon Corydon… je suis ta femme.
CORYDON
Tope là, ma Linotte… me voilà ton mari.
(AIR des Gueux)
Les gueux (bis)
Sont les gens heureux, Ils s'aiment entre eux, Vivent les gueux.
LINOTTE
Ceux qu'les richess's emmaillotent Vivent seuls, sans se r'chercher; Tandis qu'deux cœurs qui grelottent Tend'nt toujours à s'rapprocher.
ENSEMBLE
Les gueux, etc.
CORYDON
C'est exagérer sa mise, C'est faire encor d'l'embarras Que s'marier en manch' de ch'mise… Car l'amour n'en porte pas.
ENSEMBLE
Les gueux, etc.
(FIN)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...