LINOTTE (seule, à la cantonade)
Adieu, mon oncle, adieu mon bon oncle… Vous dites ?… Ah! votre habit… Soyez tranquille… je ne l'oublierai pas. (Elle descend le théâtre.)
Pauvre oncle, sur le point de repartir pour Orléans, il commande un frac dernier genre pour éblouir ses amis du Loiret… et, au dernier moment, le frac n'est pas prêt… le tailleur ne l'apportera que dans la journée… Heureusement que je suis là pour le recevoir et le faire suivre à destination… (S'approchant d'une glace.)
Et maintenant que me voilà seule, songeons à ma toilette… C'est qu'aujourd'hui il s'agit d'être belle… mon avenir dépend peutêtre de l'impression que je vais produire… C'est drôle, tout de même, moi, Linotte, une simple fleuriste, avoir rendez-vous avec un prince polonais… Je ne l'ai jamais vu, mais il paraît qu'il s'est pincé pour moi, un jour que j'arrosais mes gobéas, à cette fenêtre… et il m'a fait demander ma main par M. Sainte-Foy… un homme très connu, qui entreprend les mariages à façon… et vous fait déposer quarante francs… Sans façon… Je ne les avais pas… mais il m'a fait crédit… sur ma bonne mine, et comme mon oncle, avant de partir, a dû laisser comme toujours, dans ma commode, le montant de ma petite rente… Ce cher oncle, sera-t-il flatté d'apprendre que sa nièce est briguée par un boyard… lui qui rêvait un neveu cossu… Ça vous enfonce un peu le petit pharmacien d'en face… M. Bonamy… dont il a reçu la demande à coups de canne.
UNE VOIX (dans la coulisse)
Garçon, mes bottes.
VOIX DE CORYDON
Garçon, mon habit.
AUTRE VOIX
Garçon, mon chocolat.
LINOTTE
Quel tapage! c'est insupportable d'habiter un hôtel garni!… Là, voilà qui est bien pour la coiffure… récapitulons ce qui me manque pour compléter une tenue numéro 1…
(AIR)
Une fille est un oiseau. Et d'abord il me faudrait Une ceinture coquette, Des gants, puis un tour de tête, Deux balein's pour mon corset, Un' tournure en crinoline, Un petit col en maline, Un flacon de bandoline, Du vernis pour mes brod'quins, Un peu de pâte d'amande, Trois sous d'fromage de Hollande Et du mouron pour mes s'rins. C'est une quinzaine de francs à prélever sur mon trimestre… Et vite, vite, allons dénicher le magot… là, dans ce cabinet. (Elle entre à gauche.)
VOIX DU GARÇON (en dehors)
Mais je vous dis, pharmacien, que mademoiselle Linotte n'est pas levée… et qu'elle n'a pas besoin de vous!…
VOIX DE BONAMY (en dehors)
Mais je ne veux que lui glisser un mot, à travers sa porte.
VOIX DE CORYDON (en dehors)
Garçon! mon habit ?…
LE GARÇON (ouvrant la porte du fond et jetant un habit sur une chaise qui est près de la porte)
Le v'là votre habit ! (Il disparaît.)
LINOTTE (rentrant)
Eh bien! me voilà gentille!… Mon oncle qui est parti sans me laisser d'argent… et moi qui comptais dessus pour mes emplettes… comme c'est agréable…
VOIX DE BONAMY (dans la coulisse)
Mam'zelle Linotte!
LINOTTE
Qui est là ?
LA VOIX
Moi! Bonamy!
LINOTTE
Le petit pharmacien! comme il arrive! (A Bonamy.)
Avez-vous la monnaie de cinq francs ?
LA VOIX
Non, j'ai six sous…
LINOTTE (à part, l'imitant)
J'ai six sous !… Imbécile! si tu n'as que six sous, prends l'omnibus !
LA VOIX
Mam'zelle! je brûle pour vous.
LINOTTE (à part)
Attends, je vais te faire brûler… (Haut, à la porte.)
Vous n'avez pas rencontré mon oncle ?
LA VOIX (avec effroi)
Votre oncle!… Moi, non.
LINOTTE
Je l'attends.
LA VOIX
Avec sa canne ?
LINOTTE
Parbleu!
LA VOIX
Sapristi! (On l'entend dégringoler précipitamment les escaliers.)
LINOTTE
J'en étais sûre… La volée de mon oncle lui est restée gravée… sur les reins… (Se fouillant.)
C'est qu'il n'y a pas à dire… rien dans les mains, rien dans les poches… comment faire pour me procurer… (Apercevant l'habit déposé sur une chaise.)
Tiens!… un habit!… celui de mon oncle qu'on aura apporté… Ah! il est très bien… des boutons d'or!… une idée! si je le mettais au clou!… pour un jour ou deux… il y a justement un mont-de-piété dans la maison… Comme ça, je pourrai acheter… C'est décidé, je vais prendre par le petit escalier, pour ne pas rencontrer Bonamy. (Elle sort vivement par la droite.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...