LINOTTE, CORYDON
CORYDON
C'est une infamie! (Criant.)
Madame il me manque douze sous.
LINOTTE
Un homme ! (Elle prend vivement le foulard laissé sur la chaise par CORYDON et s'en couvre les épaules.)
CORYDON
Il me manque douze sous!… (Voyant LINOTTE.)
Ah!…
LINOTTE
Ne m'approchez pas, monsieur… (Criant.)
Au voleur, au voleur!
CORYDON
Au voleur ?… Ah! je la trouve réjouissante, par exemple! Vous avez la folichonnerie de mettre mon habit au mont-de-piété et vous criez au voleur!
LINOTTE
Comment, monsieur! cet habit?… c'était le vôtre ?…
CORYDON
Oh! faites donc l'étonnée… elle est mauvaise, celle-là !
LINOTTE
Mais, monsieur, je vous jure…
CORYDON
Certainement, madame, ou mademoiselle… ça m'est égal… il ne m'appartient pas de qualifier votre profession…
LINOTTE
Je suis fleuriste, monsieur.
CORYDON
Fleuriste!… ah! vous appelez ça être fleuriste… au fait, le quai aux Fleurs est si près du Palais de Justice…
LINOTTE
Que voulez-vous dire ?
CORYDON
Rien. Mais vous seriez venue à moi, vous m'auriez dit : Voisin, je suis gênée… j'attends des fonds… d'Amérique et si vous pouviez m'avancer… une quinzaine de francs, j'aurais pu excuser la carotte (Avec dignité.)
mais je flétris l'abus de confiance!
LINOTTE
Mais quand je vous répète…
CORYDON
Ta ta ta!… J'arrive au bureau du mont-de-piété avec le baluchon… et d'abord vous savez… le bureau se compose de deux comptoirs : sur l'un il y a écrit engagement, vous devez le connaître, celui-là; sur l'autre dégagement… Naturellement je vais d'abord au premier… je présente ma robe.
LINOTTE (sans comprendre)
Votre robe !
CORYDON
On la tourne, on la retourne, on l'examine, et on me dit : Douze francs. — Très bien, ça fait mon compte. — Je cours à l'autre comptoir, au comptoir dégagement… vous ne le connaissez pas, celui-là, et je crie : Un habit marron, boutons d'or, voici douze francs. — Pardon, me répond un vieux ténor en lunettes, il y a les frais… c'est douze sous. — Ah! Je me fouille, je me refouille, rien!… alors je retourne à l'autre comptoir et je leur dis : Vous ne m'avez pas prêté assez sur la robe. — On ne peut rien faire de plus. — Ah! eh bien, alors, rendez-la-moi… on me prêtera plus ailleurs, voici vos douze francs. — Pardon, me répond un jeune Lablache sans lunettes, cette fois, il y a les frais… c'est douze sous. — Encore! mais c'est de la tricherie, ça. A ces mots, le monsieur se fâche, moi aussi… il crie à la garde, moi aussi… on veut m'arrêter, je me sauve… et… Ah! je dois vous prévenir qu'il y a un accroc à votre robe… il y était…
LINOTTE
Comment, monsieur! c'est ma robe que vous avez portée au mont-de-piété ?
CORYDON
Un peu.
LINOTTE
Oh! monsieur! c'est affreux, ce que vous avez fait là… aujourd'hui surtout… j'en avais tant besoin… pour une affaire…
CORYDON (avec intention)
Une affaire… de fleuriste ?
LINOTTE
Qu'est-ce que ça vous fait ?
CORYDON (à part)
Elle est vexée ? je lui ai fait manquer une occasion… petite gredine, va!
LINOTTE
Tenez, monsieur, allez-vous-en… je vous déteste, je vous exècre…
CORYDON
Ça, ça m'est égal, pourvu que vous me donniez mes douze sous.
LINOTTE
Eh! monsieur, je ne les ai pas.
CORYDON
Vous ne les avez pas ?… et le produit de ma défroque ?
LINOTTE
Il y a longtemps qu'il est loin.
CORYDON
Sapristi! comme vous faites rouler la monnaie, vous! après ça quand on la gagne si facilement… Voyons, madame, moi je me refroidis comme ça… je ne vois qu'un moyen… accrochez une autre valeur… pour soixante centimes… vous avez bien une seconde robe ?
LINOTTE
Mais non, monsieur, je n'en ai qu'une, sans cela…
CORYDON
Oh! madame, permettez, on n'a pas qu'une robe!
LINOTTE
Vous n'avez bien qu'un habit.
CORYDON
C'est juste.
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
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(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...