Boubouroche, Potasse.
Potasse
Boubouroche.
Boubouroche
Quoi?
Potasse
Paye-moi un distingué, je te dirai ce que tu es.
Boubouroche
Je te l'aurais offert sans ça! Deux distingués, Amédée!
Amédée
Boum!
Boubouroche
Bien tirés, hein!… Pas trop de faux col!
Amédée (qui apporte les deux verres.)
Soignés!
Boubouroche
A la nôtre!
Potasse
A la nôtre!
(On trinque.)
Boubouroche (après avoir bu.)
Eh bien! Qu'est-ce que je suis?
Potasse
Une poire.
Boubouroche (un peu étonné.)
Depuis quand?
Potasse
Depuis que ta mère t'a mis au monde pour le plus grand bien des tapeurs et des poseurs de lapins. Tu n'as pas honte, gros cornichon, de payer les soucoupes de ces deux carottiers quand ce serait justement à eux de payer les nôtres? En somme, quoi?
Ils ont perdu.
Boubouroche
Qu'est-ce que ça me fait, à moi? Je ne joue pas pour gagner.
Potasse
Poire!
Boubouroche
Je joue pour mon amusement. J'adore conduire la manille. Et puis que veux-tu; c'est si pauvre!
Potasse
Je te dis que tu es une poire.
Boubouroche
Tu répètes toujours la même chose.
Potasse
Oh! une bonne poire, ça, je te l'accorde, savoureuse et juteuse à souhait. Mais une poire, pour en finir.
Boubouroche
Je ne suis pas l'homme que tu supposes.
Potasse
Bah!
Boubouroche
Que connaissant l'existence et que naturellement avide de faire bon ménage avec elle, je lui fasse par-ci, par-là…
Potasse
Une petite concession.
Boubouroche
Ça, mon Dieu, je ne dis pas le contraire. Mais au fond, tu entends, Potasse, je ne fais que ce que je veux faire et ne crois que ce que je veux croire. Je suis têtu comme une mule, avec mes airs de gros mouton.
Potasse
Avec ton dos de pachyderme et ta tête de sanglier, tu as juste assez d'énergie pour être hors d'état de défendre ta bourse contre l'invasion des barbares, juste assez de poils aux yeux -- tu entends, Boubouroche? -- pour passer par un trou de souris le jour où ta maîtresse exige que tu y passes.
Boubouroche
Adèle me fais passer par un trou de souris?
Potasse
Oui.
Boubouroche
Qu'est-ce que tu en sais, d'abord?
Potasse
Je n'en sais rien, mais j'en suis sûr.
Boubouroche
Tu parles sans savoir. Tais-toi. Que connaissant la nature d'Adèle et que naturellement avide de vivre sur le pied de paix, je fasse bon marché de ses petits travers et lui donne volontiers raison…
Potasse
Quand elle a tort.
Boubouroche
Ça, mon Dieu! c'est encore possible… Mais passer par des trous de souris?… Sois tranquille, va, je sais ce que je fais. On n'a pas vécu huit ans avec une femme sans être fixé sur son compte.
Potasse
Huit ans!
Boubouroche
Oui, mon cher; huit ans!
Potasse
Quel collage!…
Boubouroche (lyrique.)
Le dernier de ma vie.
Potasse
Tu en as eu beaucoup?
Boubouroche
Je n'ai eu que celui-là.
Potasse
Mazette, tu n'avais pas commencé en nourrice.
Boubouroche
J'avais trente ans. (Ebahissement de Potasse.)
Qu'est-ce qui te prend?
Potasse (qui n'en revient pas.)
Tu as trente-huit ans?
Boubouroche
Depuis un mois.
Potasse
Tu en parais bien quarante-sept.
Boubouroche (très simplement.)
Oh, du tout!… Je paraîtrais plutôt plus jeune que mon âge.
Je suis gros, c'est ce qui explique ton erreur; mais, si j'ai du ventre, je n'ai pas de rides.
(Large sourire satisfait.)
Potasse (attendri, à mi-voix.)
Bon garçon. Et d'où vient, dis-moi, que tu aies attendu trente ans pour te donner le luxe d'une maîtresse?
Boubouroche
De bien des choses, mon ami. D'abord d'une grande timidité, que j'ai toujours portée en moi, et dont je n'ai jamais pu me défaire. Puis, je suis un peu… sentimental, en sorte que j'ai longtemps cherché, sans les trouver, une âme qui fût soeur de la mienne, un coeur qui sût comprendre le mien. (Rires de Potasse.)
J'ai dit quelque chose de drôle?
Potasse
Ne t'inquiète pas, continue. Tu es à couvrir de baisers.
Boubouroche (bien qu'un peu étonné, continue.)
Je rencontrai Adèle dans une maison amie, où elle venait, le dimanche soir, prendre le thé et faire la causette. Elle avait alors vingt-quatre ans et le charme indéfinissable qu'ont les blondes, très blondes, en deuil.
Potasse
Elle était veuve?
Boubouroche
De six mois. Elle me plut, mais elle me plut!… Mille fois plus que je ne saurais dire!… Sa distinction surtout me charmait; tu sais, cette allure d'honnête femme à laquelle un homme ne se trompe pas?
Potasse (qui se fait du bon sang, mais se garde d'en laisser rien voir.)
Oui; tu as l'oeil américain.
Boubouroche
Et je songeais mélancolique: Ne te frappe pas, Boubouroche; ce fruit n'est pas pour ton assiette. Un soir, elle me pria de lui donner le bras et de la déposer à sa porte. Nous partîmes. Le silence des rues et le clair de lune qu'il faisait m'inspirèrent des témérités. Sous l'ombre de sa porte cochère, comme elle me donnait le bonsoir, je pris ses petites mains dans les miennes, comme ceci
il prend les deux mains de
Potasse, je fixai mes yeux en les siens, comme cela (il fixe Potasse dans les yeux)
, et, d'une voix tremblante d'émotion: Madame, lui dis-je, je vous aime. Vous êtes un parfum, une perle, une fleur et un oiseau.
Potasse
Parfaitement. Et huit jours après tu la mettais dans ses meubles.
Boubouroche (blessé du terme et rectifiant.)
Huit jours après, Adèle et moi associions nos deux existences, ce qui n'est pas la même chose.
Potasse
Peuh!… Tu lui donnes de l'argent.
Boubouroche
Il ne manquerait plus que je lui en demande! Je lui donne, en effet, trois cent francs par mois et je lui paye son loyer, mais enfin je ne l'entretiens pas. (Rires de Potasse.)
On n'entretient pas une femme parce qu'on fait son devoir d'honnête homme en lui simplifiant, dans une certaine mesure, les complications de l'existence.(Rires de Potasse.)
Mais, mon cher, je l'entretiens si peu, que nous ne vivons pas ensemble! (Rires énormes de Potasse.)
Bien mieux!… je n'ai même pas la clé de l'appartement!
Potasse (étonné.)
Pourquoi ça?
Boubouroche
Parce qu'une honnête femme ne doit pas avoir d'amant, et qu'on n'est pas amant tant qu'on n'a pas la clé.
Potasse (ahuri.)
Qu'est-ce qu'on est, alors?
Boubouroche (embarrassé.)
Dame, on est… euh… mon Dieu… Je ne trouve pas le mot.
Potasse
Je le trouve, moi. On est une poire.
Boubouroche
Eh! Tu m'assommes avec ta poire!… Adèle n'est pas une grisette; c'est une femme très bien élevée; elle a sa famille, ses relations; elle tient à ne pas se compromettre, et je trouve ça très légitime.
Potasse
En résumé, une de ces femmes qui veulent bien faire comme les autres, à la condition que les autres n'en sachent rien? Je connais. Elles sont comme ça quelques milliers sur le pavé de la capitale.
Boubouroche
Où est l'utilité, pour une femme, de déshabiller sa conduite et de la mettre toute nue devant le monde?
Potasse (qui ne discute plus.)
Tu as raison, je ne connais rien de plus oiseux que les théories sur la vie. (Se levant:)
Tu es heureux?
Boubouroche
Infiniment. Que me manquerait-il pour l'être? Je suis un homme sans appétits; je puis me lever à mon heure et me coucher quand ça me convient; mes moyens me permettent de manger à ma faim, de me désaltérer à ma soif, de fumer à ma suffisance et de prêter cent sous, quand l'occasion s'en présente, à un camarade gêné. J'ai, en plus, la liaison bourgeoise qui convenait à un homme comme moi: une petite compagne sensée et économe, que j'aime, qui me le rend bien, et dont la fidélité ne saurait faire question une seule minute. Alors quoi? Oui, je suis heureux autant qu'il est possible à un homme de l'être; et c'est ce qui me permet, vois-tu, vieux, d'être indulgent aux pauvres diables qui aiment mieux gagner que perdre au noble jeu de la manille et préfèrent mon tabac au leur, parce qu'il est meilleur marché.
(Potasse, pendant cette tirade, est allé à la patère et y a décroché son chapeau, son paletot et sa canne.)
Potasse
Bonne pâte!
Boubouroche
Te voilà parti?
Potasse
A demain.
Boubouroche
Encore un bock?
Potasse
Non. Trop tard. Je n'ai pas ta veine, Boubouroche. Il faut que je sois debout à huit heures du matin.
Boubouroche
Pauvre Potasse! (Poignée de main.)
Eh! bien, à demain?
Potasse
A demain.
(Sortie de Potasse.)
Boubouroche (seul, tirant sa montre.)
Neuf heures dix… Monterai-je un instant chez
Adèle?… Achevons d'abord ce distingué. La bière est bonne conseillère.
(Il boit.)
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